Commentaire de l’arrêt Barel du Conseil d’Etat en date du 28 mai 1954
Sommaire

1. Le pouvoir discrétionnaire de l’Administration soumis au principe de légalité
1. Un pouvoir d’appréciation discrétionnaire au profit de l’Administration
2. Un pouvoir soumis au principe de légalité
2. Le respect du principe général de l’égalité d’accès des Français aux emplois et fonctions publics imposé à l’Administration
1. La consécration du principe général de l’égalité d’accès des Français à la fonction publique
2. La compatibilité de ce principe avec l’efficacité de l’Administration
3. Les pouvoirs du juge administratif en matière d’instruction
1. L’étendue du contrôle du juge administratif
2. Les moyens à la disposition du juge dans l’instruction

Résumé du commentaire d’arrêt

Le problème posé au CE était de savoir dans quelle mesure le refus d’autoriser la participation au concours d’entrée à l’ENA à un candidat, alors qu’il semblerait que ce refus ne soit motivé que par les opinions politiques de celui-ci, peut-il être fondé sur un motif juridiquement valable ?
Le CE a annulé la décision du secrétaire d’Etat pour excès de pouvoir car les juges ont acquis la conviction en se basant sur les circonstances et les faits rapportés par les candidats ainsi que sur l’attitude du secrétaire, que le motif allégué par les auteurs des pourvois devait être regardé comme établi et qu’ainsi les décisions du secrétaire reposaient sur un motif entaché d’erreur de droit.
De cet arrêt ressortent trois idées principales : il précise les contours du pouvoir discrétionnaire dont le secrétaire d’Etat dispose (I-). Face à ce pouvoir discrétionnaire, le juge, qui doit jouer le rôle d’arbitre pour concilier l’efficacité de l’Administration avec les exigences de l’Etat libéral, impose à l’Administration le respect de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois et fonctions publics (II-). Il définit également les pouvoirs du juge administratif, pendant l’instruction de l’affaire (III-)

[…] C’est donc ici une confirmation de l’arrêt Bouteyre du 10 mai 1912, dans lequel le CE avait jugé que le ministre avait un pouvoir d’appréciation des candidats et qu’il pouvait refuser l’accès à un concours de la fonction publique d’un candidat qui ne pourra pas remplir la fonction en vue de laquelle le concours a été institué. Cette libre appréciation des faits par le secrétaire d’Etat peut être considérée comme un pouvoir discrétionnaire à son profit. Un pouvoir discrétionnaire peut se définir comme un pouvoir de décision dont la liberté d’appréciation de l’opportunité de l’acte est reconnue. […]

[…] En effet, le rôle du juge dans un Etat démocratique est de garantir le respect de la volonté générale qui s’exprime par le biais de lois, dont le respect s’impose à l’Administration. Même si aucune limite ne semble apparente à son pouvoir d’appréciation, ses décisions sont toujours soumises à un contrôle restreint : la décision récente du CE du 29 juillet 1953 a rappelé que même en l’absence de disposition, le pouvoir d’appréciation est soumis au contrôle du juge dans les cas où la décision serait fondée sur un motif entaché d’une erreur de droit sur des faits matériellement inexacts en cas d’un détournement de pouvoir Le juge va donc contrôler le respect du principe de légalité dans l’action administrative. […]

[…] Les pouvoirs du juge administratif en matière d’instruction L’arrêt Barel précise l’étendue du contrôle du juge administratif face au pouvoir discrétionnaire d’une autorité administrative et les moyens dont il dispose pour juger de la légalité de ses décisions A. L’étendue du contrôle du juge administratif Le juge administratif ne peut censurer une décision que dans trois hypothèses. Comme on l’a vu précédemment, alors que le secrétaire d’Etat semble se sentir fort de sa position et de son pouvoir discrétionnaire, qu’il considère presque comme un pouvoir arbitraire, le juge peut contrôler ses décisions. […]

[…] Il s’est reconnu par cet arrêt, le pouvoir de prescrire à l’Administration la production de tous les dossiers, documents et toute information quant aux motifs de fait et de droit des décisions contestées. En effet, le CE affirme qu’il dispose du pouvoir d’exiger de l’Administration compétente la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations Ainsi, le CE a demandé la production des dossiers au vu desquels la décision a été prise. […]

[…] Cet arrêt témoigne donc également du caractère écrit de la procédure administrative : le CE utilise des dossiers et non pas des témoignages. Cette injonction limitée à la production des dossiers sera ensuite élargie à la demande de présentation par l’Administration des raisons de fait ou de droit qui ont motivé la décision dans un arrêt du 26 janvier 1968 Société Maison Genestal. On voit également que si la procédure est inquisitoire, le principe du contradictoire doit être respecté : en effet, le secrétaire a fait des observations sur les pourvois grâceà la transmission des pourvois. […]