Dans le langage quotidien, le terme « humanitaire » est devenu un mot du vocabulaire de cette fin de siècle, aussi bien dans les langues Nord que du Sud. Les medias écrits audiovisuels en font une large consommation. Le quotidien le Figaro pouvait ainsi titrer à l’automne 1998 un article sur une visite du Président de la République française dans des pays d’Amérique Centrale qui venaient de subir les effets dévastateurs du cyclone Mitch : « Chirac fait l’humanitaire ». Cependant les organes d’information générale n’ont en ce domaine aucun monopole. Ainsi, le mensuel Modes et Travaux, qu’on attendrait a priori plus éloigné de ces préoccupations, écrit quelques semaines plus tard : « Peut-on encore se lancer dans l’Humanitaire ? Les medias, à travers les journaux et la télévision, et les humanitaires, que l’on tentera de définir par la suite, se rapprochent donc d’une manière consciente et ouverte devant le grand public. On va analyser cette relation médiatico-humanitaire, un rapport riche et ambiguë, dans son orientation vers le public, qui devient le consommateur d’images, en d’autres termes « le spectateur » de ce que ce rapport lui offre. L’essentiel reste alors la proximité du spectateur, autant pour les médias que pour les humanitaires. Dans les chapitres suivants, on développera davantage ce rapport, afin de voir comment ses deux acteurs visent des objectifs qui en principe sont différents, portant ils essayent de les atteindre à travers les mêmes techniques et gestion de communication.

Le Dictionnaire Historique Le Robert de la langue française fait remonter le terme « humanitaire » à 1835, dans le sens de ce « qui vise eu bien de l’humanité ». Dans la seconde moitié du siècle, le Grand Dictionnaire Universel Larousse de XIXe siècle donne comme acception : « qui intéresse l’humanité ». En anglais, l’Oxford English Dictionary (les années 30 du XXe siècle), donne un sens voisin du français, en évoquant tant « la prise en considération des intérêts de l’humanité ou du genre humain en général », que ce qui est relatif à l’humanité ou à la pratique d’une action de compassion : la philanthropie. Aujourd’hui, l’usage nominal progresse de plus en plus. Le Petit Larousse, dans son édition 1999, lui donne comme signification « ensemble des organisations humanitaires et des actions qu’elles mènent ».

Les dictionnaires témoignent ainsi à leur façon du fiat que le mot voit son utilisation évoluer et sa notoriété sociale se renforcer, au point qu’il prenne de plus en plus de sens pour un nombre croissant d’individus, à divers niveaux de la société. Pour autant, cette utilisation répandue n’est pas sans critique. Comme Balzac et Flaubert, qui au XIXe siècle l’accablaient de sarcasmes déjà, divers auteurs contemporains ne montrent pas d’appréciation pour ce terme, considérant que dans ce domaine l’action prime sur l’analyse, et que c’est le contenu de la première qui fait l’Humanitaire, sans qu’il soit besoin de la définir. Néanmoins, le lecteur est en droit de disposer d’un minimum de points de repères.

On va d’abord proposer une approche juridique. Déjà connue dans le passé en dehors du milieu des juristes spécialisés, « l’humanitaire » émane de la Cour Internationale de Justice de La Haye. La CIJ, dans un arrêt du 27 juin 1986 (Nicaragua/Etats-Unis) désigne comme humanitaire : « une aide alimentaire, en médicaments, en vêtements, par opposition à la fourniture d’armes, de munitions, de véhicules ou matériels susceptibles de causer des dommages ou la mort ». Mais on voit tout de suite l’aspect limitatif d’une telle conception, qui s’attache au caractère antagoniste de deux types d’énumérations. D’abord celle proposée par Jacques Lebas, ex-président de Médecin du Monde, qui la voit comme « le geste même de secourir, d’aller vers l’autre, l’aider ». Ensuite, une autre définition plus évocatrice des réalités concrètes de l’aide donne la définition suivante :
« l’action humanitaire est une assistance fournie par un seul ou une conjonction d’acteurs, s’insérant à des niveaux variés dans un dispositif international de l’aide régie par un certain nombre de principes, et mise en œuvre (au nom de valeurs considérées comme universelles), au profit de populations dont les conditions d’existences du de la nature (catastrophes) ou de l’action d’autres hommes (conflits armés internes ou internationaux) sont bouleversées, et l’intégrité physique atteinte, voire la survie même compromise ».

On pourrait rapprocher ce point de vue de celui qu’en donne de son côté le HCR : il s’agit d’abord, selon cette agence des Nations Unies, « d’un vaste concept qui couvre tout un éventail d’activités, mises en œuvre par des institutions aussi nombreuses que diverses… ». Ensuite, le HCR y inclut aussi le déminage, le respect de droit international humanitaire, le lobbying sur des gouvernements guère respectueux des droits de l’homme, et même des interventions militaires pour préserver la sécurité d’une population déplacée ou touchée par la guerre.

Beaucoup reculent devant la tâche qui vise à donner une définition à l’humanitaire, parce que cela reste toujours extrêmement difficile, et ne demeure jamais sans danger et risques, ce qui symbolise à la fois la difficulté de définir le concept même « d’action humanitaire ». A vouloir être absolument synthétique, on s’expose rapidement à n’avoir qu’une portée trop générale.

Ph. Ryfman souligne combien il faut prendre conscience que le terme « humanitaire » recouvre l’interaction de plusieurs notions, sans hiérarchie particulière : le mouvement – se déplacer d’un lieu ou prévaut une « normalité » des conditions de vie a une autre, ou une « crise », naturelle ou engendrée par l’homme, s’est produite ; l’acteur – celui qui va à la fois agir en réponse à la « crise » et se projeter dans l’espace de l’intervention sur le terrain, considéré aussi bien en tant qu’organisation, Etat ou agence quelconque, que comme individu les représentants ; l’opérateur – il est toujours un acteur, mais au surplus physiquement présent sur le terrain ; le temps – la nécessité d’être présent et d’agir soit dans une contraction temporelle qualifiée par le mot « urgence », soit sur une durée plus ou moins longue, soit enfin successivement sur les deux plans ; l’espace humanitaire – le champ dans lequel va se déployer l’aide : la réaction de l’opinion et son potentiel soutien, ou son indifférence totale ainsi que l’attitude des gouvernements ici ; la réception par la population et les autorités locales là-bas ; la configuration géopolitique globale dans laquelle elle va s’inscrire ;les contraintes qu’elle va rencontrer ; le degré de protection, voire de « sanctuarisation » dont elle va ou non bénéficier ; le bénéficiaire – la population vulnérable/en danger/victime, pour laquelle on agit ; l’assistance de la nature de celle-ci – le dispositif de l’aide, sa logistique, les missions assignées ; la référence à des valeurs et idéaux de l’ordre de l’impératif moral et considérées comme de portée universelle : ne pas abandonner à leur sort des hommes, femmes et enfants appartenant à une humanité commune ; et donc ne pas laisser les crises se dérouler sans agir, au moins en portant assistance aux victimes, des situations contraires à ces mêles valeurs, et que l’on ne peut prétendre ignorer ; ne pas accepter les catastrophes naturelles comme fatalité sans tenter de sauver tous ceux qui peuvent encore l’être ; en un mot refuser l’inacceptable ; le respect de principe déontologique et de règles éthiques (plus ou moins objets de consensus) dans la fourniture de l’aide : impartialité, non discrimination, absence de prosélytisme, non militarisation, recherche de l’efficacité.