27 FONDS NATIONAL SUISSE • HORIZONS JUIN 2006
Droit contre justice
forme de dilemme chez les juges est celle
qui est décrite plus haut, lorsque la repré-sentation personnelle des valeurs diffère
de celle de la loi. Ils sont 86 pour cent à en
avoir fait l’expérience, alors que 82 pour
cent ont connu la deuxième forme : bien
que deux parties aient dans le fond raison,
le tribunal doit trancher en faveur de l’une
des deux, comme c’est souvent le cas pour
le droit de garde des enfants lors d’un
divorce.
Refoulement de réfugiés
Le troisième dilemme, représenté par les
conflits entre droit et justice, a déjà été
vécu par 94 pour cent des juges : un juge
croit par exemple à la version de l’une des
deux parties mais doit édicter une sen-tence en faveur de l’autre partie car les
preuves font défaut à la première. Le qua-trième dilemme est lié à la condamnation
et 53 pour cent des juges y ont été confron-tés au moins une fois : il concerne avant
tout les délits de drogue ou les décisions
de refoulement de réfugiés.
Les avocats se retrouvent avant tout
dans un dilemme lorsque le client a une
échelle de valeurs totalement différente
de la leur, lorsque, dans la constellation
« mon client versus la partie adverse »,
ils voient que la partie adverse est en fait
dans son droit ou quand ils se trouvent
dans le champ de tension « client versus
obligation de respecter la loi ».
Les analyses de Revital Ludewig-Kedmi montrent en outre que neuf
juges ou avocats sur dix n’arrivent pas à
décrocher de leur univers professionnel, ce
qui engendre des troubles du sommeil
chez 60 pour cent d’entre eux et des
tendances dépressives chez 13 pour cent.
Les juristes, comme tous les êtres
humains, cherchent d’abord à refouler les
problèmes, jusqu’à ce que certains d’entre
eux craquent. La psychologue estime que
cela pourrait être évité, en augmentant les
arrangements et les médiations par exem-ple dans le cas des juges ou en leur per-mettant d’exprimer de manière explicite
leur opinion à l’énoncé du jugement :
« Je crois que la partie A a raison mais par
manque de preuves, je dois me prononcer
en faveur de la partie B. » L’Université de
Saint-Gall propose des cours de formation
continue avec des exposés et des ateliers
sur le dilemme moral et les stratégies pour
les surmonter.
*Bernhard Ehrenzeller und Revital Ludewig-Kedmi
(Hg.) Moraldilemmata von Richtern und Rechts-anwälten, Dike Verlag, Zurich, 2006. CHF 67.— (non
traduit en français)
iuseppe Dell’Olivo, avocat à
Baden, se proposait d’aider les
plus faibles à obtenir justice.
Mais sa formation ne lui avait
pas suffisamment montré une chose : il
arrive qu’un client ne soit pas ou que par-tiellement dans son bon droit et que l’on
doive malgré tout le défendre. Un doute
concernant l’innocence de leur mandant
peut créer un dilemme chez certains
avocats. La situation est identique pour
les juges. Ainsi, lorsque le concubinage
était encore interdit dans certains cantons
dans les années 1970, un juge devait
parfois condamner un couple qui, après
avoir divorcé, se réconciliait et revivait
ensemble.
Sept situations de dilemme
La psychologue Revital Ludewig-Kedmi a
étudié les dilemmes moraux auxquels sont
soumis juges et avocats en se basant sur
80 entretiens et 1500 questionnaires. Il y a
dilemme lorsque deux valeurs différentes,
la loi et la vision du monde d’un avocat ou
d’un juge, s’opposent. La chercheuse du
Centre de compétence de psychologie
légale de l’Université de Saint-Gall a établi
quatre situations de dilemme chez les
juges et trois chez les avocats. La première
Juges et avocats doivent parfois prendre des décisions allant à l’encontre de leur intime
conviction. Mais de tels dilemmes affectent leur moral, comme le montre une étude du Centre
de compétence de psychologie légale de l’Université de Saint-Gall.
PAR MARTIN ARNOLD
ILLUSTRATION HERMANN SCHMUTZ
G