Introduction

L’école publique est, par la nature même de sa mission, au cœur du dispositif laïque républicain. C’est par l’école que la laïcité a fait son entrée dans la société française. En effet, Le terme de laïcité apparaît pour la première fois en 1882 avec la loi Ferry qui instaure l’instruction gratuite et obligatoire et s’engage dans la construction d’une école publique, et la loi Gobelet de 1886 qui laïcise le personnel enseignant des écoles publiques de l’enseignement primaire. Les lois scolaires ont donc anticipé la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905.

Dans ses conclusions sur l’arrêt Bouteyre, du 10 mai 1912, le commissaire du gouvernement Helbronner soulignait l’importance du respect de la neutralité dans l’enseignement public en ces termes : « c’est qu’en effet, l’enseignement de la jeunesse a, dans la société, une telle importance, la première empreinte laissée dans les esprits subsiste avec une telle force dans le reste de l’existence, que le jour où l’Etat devait assumer la charge de l’enseignement public, il ne pouvait le donner que impartial et indépendant de toute doctrine religieuse. Cette indépendance et cette impartialité devaient avoir pour corollaire obligatoire le respect des croyances et des libertés de conscience. L’enseignement public, par suite, devait être d’une neutralité absolue ».

La laïcité de l’enseignement va ensuite être consacrée constitutionnellement par le Préambule de la Constitution de 1946 : « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

L’école publique doit de ce fait respecter une stricte neutralité.

Cependant, des régimes dérogatoires sont reconnus. Le plus emblématique est le régime de l’Alsace et de la Moselle. Le rapport entre la religion et l’école en Alsace et en Moselle est spécifique. La loi du 1er juin 1924, mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, a maintenu en application dans ces départements le Concordat (loi du 18 Germinal An X). L’application du régime concordataire a par la suite été confirmée dans un avis du 24 janvier 1925 par le Conseil d’Etat. La loi de 1905 ne trouve pas à s’appliquer en Alsace et en Moselle. Le maintien de ce régime spécifique se traduit par la coexistence de deux régimes cultuels : celui des quatre cultes reconnus (Eglise catholique ; Eglise de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine ; Eglise réformée d’Alsace et de Lorraine ; culte israélite) et celui des autres cultes (dont l’Islam).

En vertu du régime juridique en vigueur, l’enseignement religieux des quatre cultes reconnus est bligatoire dans les établissements publics d’enseignement. Ce maintien de ces enseignements a été dénoncé, comme contraire au principe de laïcité et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’Etat a cependant jugé que les préambules des Constitutions de 1946 et de 1958 qui réaffirment le principe de laïcité, n’ont pas eu pour effet d’abroger implicitement les dispositions de la loi de 1924, et que le maintien de cours d’enseignements religieux obligatoire n’est pas contraire à l’article 9 de la CEDH, des facultés de dispenses étant prévues (CE, 6 avril 2001, SNES).

Des dérogations existent également dans les collectivités d’outre-mer.

Outre ces dérogations, la laïcité a été confrontée à toutes les époques à la présence du religieux à l’école. L’école est lieu multiculturel, un lieu révélateur des difficultés que peut poser la cohabitation entre croyances.

Des débats se sont ouvert sur différents sujets : le rôle et la formation des professeurs, la possibilité de recevoir une instruction religieuse, les programmes scolaires, la possibilité pour les enfants d’exprimer leurs croyances et religion dans l’enceinte de l’école (liberté reconnue expressément par la circulaire Jospin de 1989 et par le Conseil d’Etat dans un avis du 27 novembre 1989 en ces termes : « le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité »). La présence du religieux à l’école pose en effet des problèmes juridiques, institutionnels et d’enseignement. Elle était cependant parvenue à s’enraciner dans nos institutions, l’école publique ayant depuis longtemps prouvé sa capacité à dialoguer et à s’adapter.

Mais actuellement, les termes du débat ont changé, et se font plus passionnels. Des revendications religieuses et des pressions de plus en plus fortes sont exercées sur les équipes éducatives par les élèves et leurs parents. On assiste notamment à des revendications spécifiques en terme de régime alimentaire, en terme de port des signes religieux, et d’aménagement du temps scolaire.

La question se pose alors de savoir quelle est la place aujourd’hui de la religion à l’école ? Qu’est ce que l’école laïque aujourd’hui ? Comment concilier cette liberté d’expression religieuse reconnue aux élèves avec la mission de l’école, basée sur un pluralisme d’idées et d’opinions, et sur une obligation de neutralité ?

Doit-on considérer actuellement que l’école a perdu de son statut de sanctuaire à l’abri des querelles religieuses ?

L’enjeu actuellement semble être d’adapter aux évolutions de notre société les moyens de faire vivre la laïcité. Comme dans d’autres pays occidentaux, la France connaît une conjonction difficile entre deux phénomènes simultanés : la panne de l’intégration sociale et la mutation du paysage religieux et spirituel. Chaque pays aborde ce nouveau défi avec la tradition qui est la sienne. La France a un modèle spécifique de laïcité, mais également une tradition d’ouverture.

Ainsi, nous étudierons dans un premier temps l’organisation de la vie scolaire (I), puis dans un second temps, l’organisation de l’enseignement scolaire en France (II).

* I. L’ORGANISATION DE LA VIE SCOLAIRE

L’organisation scolaire doit permettre à l’école d’être un lieu multiculturel mais neutre. Cette organisation comprend l’admission, le temps scolaire et la vie dans les locaux. Les problèmes rencontrés concernant l’organisation de la vie scolaire sont surtout apparus pour le temps scolaires et les signes d’appartenance religieuse.

o A. L’organisation du temps scolaire

La loi Debré du 31 décembre 1959 impose à l’Etat de prendre toutes les dispositions pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse (Art. L. 141-2 C. Educ.). Cette obligation se traduit en pratique par la journée réservée, qui correspond à un jour de vacation supplémentaire en dehors du dimanche, et par des dérogations au principe d’assiduité scolaire.

+ 1°) le respect de la liberté cultuelle des élèves

Le « temps scolaire » est le temps résiduel obtenu après défalcation des jours de congé, c’est à dire du temps consacré aux activités pédagogiques de toute nature. Le principe de laïcité interdit uniquement que l’instruction religieuse soit organisée à l’école. Mais elle peut avoir lieu en dehors de ce temps scolaire au libre choix des familles.

La délicate détermination annuelle du calendrier des vacances, l’organisation de la journée de classe, l’horaire hebdomadaire des élèves et sa compatibilité avec des pratiques sportives suscitent débat et polémiques. Depuis 1970, on ne compte pas moins de 5 rapports sur la question. L’Etat, ne voulant pas décider nationalement, transfère localement pour la prise en compte des situations géographiquement et sociologiquement différents.

Plusieurs textes consacrent le droit accordé aux élèves d’accéder à un enseignement religieux en dehors du temps scolaire. L’article 2 de la loi du 28 mars 1882 suppose la possibilité matérielle laissée aux enfants de recevoir un enseignement religieux. Elle oblige les écoles primaires à vaquer un jour par semaine en dehors du dimanche pour permettre une éducation religieuse pour les parents qui le souhaitent. C’est ainsi que la Grande Loi Républicaine sur l’école du 28 mars 1882 consacre à la fois la liberté, la laïcité et la neutralité.

L’article 30 de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905 rappelle le principe de la loi de 1882 : l’enseignement religieux doit être donné en dehors des heures de classe.

Enfin l’article 1er de la loi Debré du 31 décembre 1959 précise qu’il revient à l’Etat de prendre « toutes les dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieux ». Cette obligation ne peut consister en une simple tolérance passive. Cette mise en œuvre se traduit par la journée réservée.

Ces dispositions ont été interprétées comme une consécration de la liberté de l’instruction religieuse en tant que liberté constitutionnellement garantie.

En 1972 c’est un arrêté ministériel qui modifie et substitue le mercredi au jeudi comme jour sans classe. Mais la pression sociale tendant à obtenir la libération du samedi matin pour un vrai week-end de deux jours est forte dès 1972. L’année scolaire 1971-1972 voit le début d’une expérience de la semaine dite continue dans les écoles de Niort. Mais l’aménagement de la semaine scolaire a des conséquences sur la fonction de la catéchèse de l’Eglise catholique. Elle provoquerait une baisse de la fréquentation du catéchisme.

Le décret du 28 décembre 1976, dans sa rédaction du 13 mai 1985, donne en son article 15 alinéa 3, compétence à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Education, pour l’aménagement de l’organisation du temps scolaire pour chaque école, pour une durée limitée, « à la demande de la majorité des membres du conseil d’école et en accord avec la ou les collectivités intéressées » (Décret n° 76-1301 du 28 décembre 1976 modifié par décret n° 80-906 du 19 novembre 1980 et n° 85-502 du 13 mai 1985). Une note de service de 1986 fondée sur ce décret incite les inspecteurs d’académie à éviter d’y donner suite sans l’accord des autorités religieuses et à limiter l’expérience à une seule année scolaire.

La tendance actuelle est donc de changer la journée réservée du mercredi par le samedi pour un week-end de deux jours. C’est ce fondement qui a permis ce transfert. Mais l’Eglise catholique a tenté de le combattre devant le Conseil d’Etat. Même si ce changement ne parait pas avoir été expressément interdit par la loi de 1882, certains ont vu dans cette proposition une remise en cause du principe de l’interruption hebdomadaire des cours pour permettre aux parents qui le désirent de faire donner à leurs enfants une instruction religieuse (article 2 loi de Ferry du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire).

Des recours contentieux ont donc été introduits devant les tribunaux administratifs de Poitiers et d’Orléans au nom de l’épiscopat. Juridiquement il s’agissait de faire constater la contrariété du décret à la loi de 1882 et à la loi Debré de 1959.

Dans la décision du tribunal administratif de Poitiers, la condamnation ne s’est basée que sur des questions de forme. Ainsi, est entachée d’illégalité la décision par laquelle un inspecteur d’académie autorise le transfert des cours du samedi au mercredi pour toutes écoles d’une ville, dès lors qu’elle traite de la même façon les établissements dont les conseils sont favorables et ne le sont pas.

Dans la décision du tribunal administratif d’Orléans, le juge administratif annule la décision au motif que le pouvoir d’aménagement de l’organisation du temps scolaire conféré à l’inspecteur d’académie interdisait de remettre en cause la coupure du mercredi et de placer la journée réservée le samedi. Il a qualifié cette règle comme étant de portée générale et ayant valeur constitutionnelle.

Dans une décision du 27 juillet 1990, en appel de la décision du tribunal administratif d’Orléans, le Co-***nseil d’Etat confirme cette décision mais ne se prononce pas sur la valeur du principe. Il considère que le décret de 1976 ne permet que de simples aménagements d’horaires. Cette décision ne donne pas de réponses aux deux questions posées à savoir la valeur d’une délégation de pouvoirs à des instances locales dans une matière mettant en cause une liberté publique et la possibilité de fixer au samedi la journée réservée.

Par la suite un compromis est trouvé en concertation avec les autorités religieuses catholiques. Le décret relatif à l’organisation et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires du 6 septembre 1990 intervient quelques semaines seulement après la décision du Conseil d’Etat. Mais ce texte par son ambiguïté mécontenta tant les autorités religieuses que les partisans du « samedi libre ».

Il a fallu attendre le décret du 22 avril 1991 pour que soit expressément confirmée la « départementalisation » de l’organisation du temps scolaire. Le texte précise que la décision de l’inspecteur d’académie ne doit pas porter atteinte à l’exercice de la liberté de l’instruction religieuse. De même cette décision doit être limitée dans le temps et ne doit pas être supérieure à trois ans.

La consultation des autorités religieuses sera précisée par circulaire le 24 avril 1991. Mais elles n’ont pas pour autant un « droit de veto » sur la modification de la journée réservée. Le seul recours dont elles disposent est la saisine du juge.

De plus en plus de transferts des cours du samedi au mercredi sont opérés mais il n’existe pas de consensus national possible. La solution de la semaine de quatre jours qui permet de libérer le mercredi pour la catéchèse et le samedi pour la famille ou le Sabbat.

Une alternative est possible grâce aux services d’aumôneries sous certaines conditions prévues par la loi. Par l’article 2 de la loi de 1905, les départements et les communes pourront inscrire au budget de l’Etat, « les dépenses relatives à des services d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans des établissements tels que lycées, collèges, écoles (…) ». La loi de 1905 ne prévoit pas une obligation d’instaurer des services d’aumôneries, mais la jurisprudence a considéré que les cérémonies religieuses à l’intérieur des établissements publics énumérés à l’article 2 ne pouvaient faire l’objet d’une interdiction générale, sauf à porter atteinte au libre exercice des cultes. L’Etat doit ainsi veiller à ce que des aumôneries soient créées dans l’enseignement du second degré lorsqu’il est établi qu’elles sont nécessaires au libre exercice de leur culte par les élèves. Pour le secondaire, la loi du 09 décembre 1905 oblige les établissements avec internes de créer des aumôneries (CE. Ass., 06 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles ; CE. Ass., 01 avril 1949, Chaveneau et autres).

Quand bien même elles ne seraient pas indispensables au libre exercice des cultes, des aumôneries peuvent être instituées si elles ne vont pas à l’encontre de la liberté de conscience ou de l’intérêt de l’ordre public (CE, 07 mars 1969, Ville de Lille).

L’interprétation souple de la loi de 1905 s’est trouvée confortée par la loi Debré du 31 décembre 1959, puisque dans son article 1 : « L’Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et l’instruction religieuse ».

+ 2°) Assiduité scolaire

« Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. » (Art. L. 511-1 C. Educ.)

L’interprétation de la loi du 10 juillet 1989 impose l’assiduité scolaire au regard du principe de liberté de religion. Traditionnellement le ministre de l’éducation nationale opposait l’obligation d’assiduité inscrite à l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 mais également aux articles 3 et 5 du décret du 18 février 1991.

« L’obligation d’assiduité consiste, pour les élèves, à se soumettre aux horaires d’enseignement définis par l’emploi du temps de l’établissement ».

Même le Conseil d’Etat, dans un avis du 27 novembre 1989, rappelle que le droit d’exprimer et de manifester ses croyances religieuses ne doit pas porter atteinte à l’obligation d’assiduité.

Le fait que le rythme scolaire annuel soit ponctué par les principales fêtes religieuses du calendrier chrétien correspond simplement au poids de ce calendrier sur la vie civile. Le calendrier scolaire ne tient pas compte des fêtes religieuses juives et musulmanes parce que nous sommes dans l’impossibilité d’organiser un calendrier qui respecte toutes les demandes des groupes religieux. La solution consiste alors à aménager sous forme de dérogations ponctuelles l’obligation d’assiduité pour les élèves qui ne sont pas de cette confession.

Dans l’éducation nationale, les difficultés sont donc généralement réglées par des autorisations d’absence accordées ponctuellement (sauf pour les examens). Aucun texte réglementaire ne prévoit expressément la possibilité d’accorder ces autorisations.Dans la pratique, elles sont répandues et les élèves juifs et musulmans absents lors de fêtes religieuses ne sont pas sanctionnés. Cet accommodement de fait a vu sa légitimité confortée officiellement par le Conseil d’Etat, qui a considéré que l’obligation d’assiduité n’a pas pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet d’interdire aux élèves qui en font la demande de bénéficier individuellement des autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse (CE 14 avril 1995 Consistoire central des israélites de France et Koen (2 espèces)) dans la mesure où elles n’entravent pas les tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement.

La solution dégagée par le Conseil d’Etat est celle d’une interprétation de l’obligation légale d’assiduité qui assure une garantie minimale de la liberté de religion, au niveau des établissements scolaires.

De plus, chaque année des instructions sont données par le ministre pour que ces absences, lorsqu’elles sont justifiées par des fêtes religieuses importantes, soient autorisées. Ces dates sont mentionnées par circulaire et notes de service (pour les fêtes israélites : note de service n° 87-164 du 11 juin 1987 (Roch Hachana, Kippour, Souccoth, Pessah et Chavouoth) et pour les fêtes musulmanes : note de service n° 88-126 du 6 mai 1988 (Aïd El Addhar, Aïd El Kébir, Mouled)). Ces notes de service du ministre de l’éducation rappellent que des autorisations d’absence peuvent (doivent ?) être accordées pour les fêtes religieuses juives et musulmanes.

Même la circulaire Jospin du 12 décembre 1989 précise que ces absences doivent être accordées à titre exceptionnel, sous certaines conditions (correspondance à des fêtes religieuses, établies par un calendrier au plan national, sans conséquence sur le déroulement de la scolarité). Ces autorisations sont un droit mais peuvent être refusées dans le secondaire et le primaire quand elles sont incompatibles avec une scolarité normale, c’est-à-dire une dérogation systématique pour le samedi dés lors que l’emploi du temps y prévoit un nombre important de cours et de contrôles de connaissance.

La question du Sabbat est différente. Il s’agit là du repos hebdomadaire pour les personnes de confession juive. Cette obligation d’assiduité du samedi est depuis longtemps contestée par les parents d’élèves juifs. Mais elle ne connaît un aboutissement juridique que dans les années 1990. L’arrêt Koen du Conseil d’Etat de 1995 n’exclut pas formellement les absences du samedi matin mais les conditions fixées ne permettent pas de les aménager sauf pour les plus jeunes.

Cette question diffère dans la mesure où l’absence systématique est de nature à perturber une scolarité. La limite d’un tel dispositif tient dans son caractère dérogatoire, le Conseil d’Etat ayant pris soin de préciser qu’il ne pouvait justifier systématiquement l’absence hebdomadaire du Sabbat. Une autorisation d’absence le samedi accordée pour l’année 1999-2000 à un enfant adventiste du septième jour par un inspecteur d’académie a été retirée en catastrophe par le ministre au motif qu’elle avait été accordée « par erreur », compte tenu du fait que les dérogations ne peuvent être que ponctuelles et ne peuvent revêtir un caractère permanent au cours de l’année scolaire (communiqué du 3 décembre 1999 de Mme Ségolène Royale, ministre déléguée de l’enseignement scolaire).

C’est par la circulaire du 12 décembre 1989 que sont précisées les sanctions en cas d’abus dans l’utilisation de ces dérogations à l’obligation d’assiduité : mise en demeure suivie le cas échéant d’une éviction, amendes à l’encontre des responsables éducatifs, suspension du versement des allocations familiales.

Même si le service public de l’éducation tient compte de la liberté de culte des élèves, certains problèmes persistent. La semaine des quatre jours pourrait être une solution possible au problème de l’assiduité et de l’organisation du temps scolaire. Cette question n’est pas controversée pour des raisons religieuses mais pour d’autres raisons. Cette solution est donc aujourd’hui loin d’être généralisée. De même les écoles privées permettent de résoudre les difficultés liées à ces questions.

o B. Les signes religieux à l’école

Cela concerne les locaux scolaires, mais les tensions les plus vives se sont fait ressentir sur le port des signes religieux à l’intérieur des établissements.

+ 1°) Laïcité des locaux

Interdiction des crucifix

La neutralité de l’enseignement passe dans un premier temps par la neutralité des locaux où ont lieu ces enseignements. C’est ainsi qu’ont été interdit les crucifix dans les salles de cours. Sous le gouvernement de Vichy, cette interdiction a été écartée et elle a repris à la libération. Cette interdiction fut confirmée par une circulaire du 2 novembre 1982.

Utilisation des locaux

En 1983, le législateur a permis cette utilisation sous certaines conditions, pour répondre aux souhaits des collectivités territoriales. Ainsi l’article 25 de la loi de décentralisation du 22 juillet 1983 reconnaît aux maires le droit d’utiliser les locaux scolaires en dehors des périodes d’enseignement. Des activités peuvent y être organisées mais elles doivent être compatibles avec les exigences du service public d’enseignement.

L’article 26 prévoit également la possibilité pour les régions, les départements et les communes d’organiser pour les élèves pendant les heures d’ouverture des établissements, des activités éducatives, culturelles, sportives. Mais une circulaire du 8 août 1985 précise que ces activités doivent s’inscrire dans le prolongement de la mission publique et laïque de l’établissement scolaire. L’interdiction porte sur le contenu de l’intervention.

Certains établissements ouvrent ce domaine sur des problèmes éducatifs n’entrant pas à la lettre dans les programmes. Par exemple des conférences d’informations objectives et équilibrées ont parfois été organisées dans le cadre des foyers socio-éducatifs, sous statut d’association, par exemple sur les religions monothéistes. Les dispositions du texte semblent le permettre en tant qu’activité éducative.

+ 2°) Le port de signes d’appartenance religieuse

L’obligation de laïcité ne s’impose pas aux élèves eux-mêmes. Ils restent libres de manifester leurs convictions, dans certaines limites. Ainsi, les élèves se voient reconnaître une liberté de conscience. L’article L 511-2 du Code de l’Education énonce que « dans les collèges et lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ».

Cette liberté reconnue aux élèves a été fortement discutée à l’occasion de la question du port des signes religieux dans l’enceinte des établissements scolaires, plus particulièrement sur le port du voile par les jeunes musulmanes. Force est de constater une évolution juridique mais également sociologique sur ce sujet.

La discussion véritable sur le port des signes religieux a débuté à la rentrée 1989, au collège de Creil : trois élèves refusent de quitter leur voile en dépit des demandes du corps enseignant et du principal de l’établissement. Le ministre de l’Education nationale de l’époque, Lionel Jospin, a décidé de saisir le Conseil d’Etat d’une demande d’avis, qui portait sur la compatibilité du principe de laïcité avec le port de signes d’appartenance à une communauté religieuse.

Le 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat rend son avis : il estime qu’il résulte des textes constitutionnels et législatifs et des engagements internationaux de la France que « le principe de laïcité de l’enseignement public, qui est l’un des éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part de cette neutralité par les programmes et les enseignants, et d’autre part, de la liberté de conscience des élèves » et précise que « la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité ».

Le Conseil d’Etat marque qu’il ne peut y avoir d’interdiction générale et absolue du port de signes religieux, et reconnaît ainsi qu’en lui-même le port de signe d’appartenance à une religion par un élève n’est pas incompatible avec le principe de laïcité.

Cependant, le port peut être prohibé en fonction de certains principes qu’il énumère, mais également en fonction de certaines circonstances locales. Les limites posées par le Conseil d’Etat sont : la pression, la provocation, le prosélytisme, la propagande, le fait de porter atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou à d’autres membres de la communauté éducative, de perturber le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, de troubler l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement du service public.

Il renvoie ainsi au règlement intérieur des établissements secondaires le soin d’établir les modalités d’application des principes définis, et énonce qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’apprécier au cas par cas si le port d’un signe religieux méconnaît les conditions précitées, et si cela justifie une sanction.

Suite à cet avis, le ministre de l’Education a adopté une circulaire, le 12 décembre 1989. Elle donne des indications et des orientations dans le but d’aider à mettre en œuvre le principe de laïcité, « avec fermeté et dans le respect du droit ». La circulaire insiste sur l’importance du dialogue entre l’équipe éducative, et les jeunes et leurs parents, pour faire renoncer au port du signe religieux en litige.

La circulaire prévoit en cas de « nécessité avérée » la possibilité, pour le chef d’établissement, d’interdire, à titre conservatoire, l’accès de l’établissement à un élève en attendant la comparution de celui-ci devant le conseil de discipline. Cette possibilité découle de l’article 6 du décret du 18 décembre 1985. Mais seul le conseil de discipline peut prendre des mesures d’exclusions. Afin de guider l’action et les décisions des chefs d’établissements, de nouvelles directives ont été adoptées : la circulaire du 26 octobre 1993 sur le respect de la laïcité, a été adoptée. Puis la circulaire sur la neutralité de l’enseignement public a ensuite été adoptée le 21 septembre 1994, dite circulaire Bayrou : elle établit une distinction entre les signes discrets, qui sont admis et les signes ostentatoires, qui sont interdits (les signes discrets sont ceux qui manifestent l’attachement personnel des élèves à des convictions, notamment religieuses et les signes ostentatoires sont ceux qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discriminations).

Appelé à statuer au contentieux sur le port des signes religieux par les élèves, le Conseil d’Etat a également censuré les mesures d’interdiction à caractère général et absolu (CE, 02 novembre 1992, M. Kherouaa et autres), ou prises sur le seul motif d’incompatibilité du port des signes avec le principe de laïcité de l’enseignement public (CE, 27 novembre 1996, M. et Mme Naderan ; CE, 09 octobre 1996, Ministre de l’éducation nationale c/ Melle Unal).

Inversement, les sanctions ont été approuvées quand elles étaient prises à l’encontre de jeunes filles refusant d’ôter leurs foulards en cours d’éducation physique et sportive ou qui refusaient d’y participer. Elles se soustrayaient en effet à l’obligation d’assiduité (CE, 27 novembre 1996, Epoux Wissaadane et époux Chedouane ; CE, 20 octobre 1999, Ministre de l’Education nationale contre M. et Mme Ait Ahmad). Ne sont pas non plus illégales les sanctions d’exclusions infligées à des élèves qui ont participés à des mouvements de protestation ayant gravement troublé le fonctionnement normal de l’établissement, et ont ainsi excédé les limites du droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires (CE, 27 novembre 1996, Ligue islamique du Nord et époux Chabou et autres).

Le Conseil d’Etat trace, par sa jurisprudence, les contours de la liberté d’expression des élèves. Il a adopté une jurisprudence de conciliation, qui n’a pas toujours permis de régler localement les conflits. Le juge se trouve limité par le fait qu’il ne puisse pas interpréter le signe religieux, sauf à entrer dans l’interprétation des religions. De plus, Il est souvent difficile de tracer la frontière entre le signe ostentatoire, revendicatif, l’acte de prosélytisme, et le port normal même visible de signes religieux.

Le débat sur le port des signes religieux, qui s’est principalement focalisé sur le port du voile islamique, a resurgit alors même que le nombre de conflits dans les établissements scolaires a diminué depuis dix ans. C’est notamment l’exclusion d’un collège d’Aubervilliers le 10 octobre 2003, de deux jeunes filles, Lila et Alma, qui refusaient d’ôter leurs voiles dans l’enceinte de l’établissement. Les ambiguïtés et les insuffisances des circulaires et de la jurisprudence sont montrées du doigt.

La question est aujourd’hui marquée par les questions liées à l’Islam ou à celles tenant au statut de la femme musulmane dans la société. Les problèmes de communautarisme ont également été évoqués. Il est vrai que les courants identitaires se sont affirmés.

Dans le but d’adopter une réforme du système juridique régissant le port des signes religieux à l’école, différents forums, commissions ont été mis en place.

Lors de sa réunion du mardi 27 mai 2003, la Conférence de Présidents a décidé, sur proposition du Président de l’Assemblée nationale, en application de l’article 145, alinéa 3, du Règlement, de créer une mission d’information de 30 membres sur la question des signes religieux à l’école. La mission avait pour mission de dresser un état des lieux et émettre des propositions nationales. Elle a rendu ses conclusions le 12 novembre 2003.

Le Président de la République a également mis en place le 03 juillet 2003 une commission indépendante de réflexion sur l’application du principe de laïcité, composée de 40 sages d’horizons et sensibilité divers, et présidée par M. Bernard Stasi.

Ce qu’il ressort de ces débats est la reconnaissance d’une nécessité de réaffirmer l’application du principe de laïcité à l’école. Le régime juridique existant, tel qu’il résulte de l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 a été jugé non satisfaisant car « ne répondant pas au désarroi des chefs d’établissements et des enseignants confrontés à cette question » (selon les conclusions de la mission d’information). Afin de répondre à ces attentes de fermeté et de clarification du régime existant, la décision est d’adopter une réforme sous la forme d’une loi.

On peut constater un changement en 15 ans dans la perception des signes d’appartenance religieux. Alors qu’en 1989, le Conseil d’Etat avait dû rappeler à ceux qui s’indignaient de l’irruption dans nos écoles de jeunes filles vêtues d’un voile, que la liberté de conscience était au fondement de la laïcité et qu’en l’occurrence, ce droit ne pouvait leur être retiré en 2003. Dans le cadre de la commission Stasi, au fil des nombreuses auditions, nous pouvons constater que, si le voile restait pour certaines un signe individuel d’appartenance librement choisi, il était devenu pour d’autres un choix fait sous la contrainte, ou un moyen de pression sur des jeunes filles qui ne souhaitent pas le porter et qui constituent une très large majorité.

Le 22 janvier 2004, le Conseil d’Etat, qui s’est réuni en assemblée générale, a donné un avis favorable au projet de loi interdisant des tenues et signes ostensibles d’appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, présenté par le gouvernement en application du principe de laïcité.

Une loi a été ainsi adoptée le 15 mars 2004. Cette loi encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Elle est applicable depuis la rentrée 2004 sur l’ensemble du territoire de la république. La loi a été complétée par une circulaire du 27 mai 2004 qui abroge et remplace la circulaire du 12 décembre 1989 relative à la laïcité, au port de signes religieux par les élèves et au caractère obligatoire des enseignements (circulaire Jospin), la circulaire du 26 octobre 1993 sur le respect de la laïcité, et la circulaire du 20 septembre 1994 relative au port de signes ostentatoires dans les établissements scolaires.

Dorénavant, en vertu de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». La loi interdit les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive.

La loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi. Mais la loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets. Elle n’interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse. En revanche, la loi interdit à un élève de se prévaloir du caractère religieux qu’il y attacherait, par exemple, pour refuser de se conformer aux règles applicables à la tenue des élèves dans l’établissement.

La loi s’applique à l’intérieur des écoles et des établissements et plus généralement à toutes les activités placées sous la responsabilité des établissements ou des enseignants y compris celles qui se déroulent en dehors de l’enceinte de l’établissement (sortie scolaire, cours d’éducation physique et sportive…).

Dorénavant, les règlements intérieurs des établissements scolaires qui porteraient des interdictions générales de tenues ou de signes religieux seront conformes à la loi, alors qu’auparavant ils n’étaient pas conformes au droit rappelé par l’avis du Conseil d’Etat qui date de 1989. On favorise tout de même les procédures de dialogue et de médiation, sinon, la loi risque de favoriser le départ de certains des élèves des établissements publics ou leur déscolarisation.

Celle loi a fait l’objet d’un large consensus. Mais dans la pratique, on peut se demander si la loi apporte de grands changements. En effet, la différence établie entre « signes ostentatoires » et « signes discrets » n’est pas inédite. De plus, la responsabilité finale d’exclure un élève, qui est lourde de conséquence, reste dans les mains du chef d’établissement. On peut simplement remarquer que la loi a la qualité de clarifier et d’uniformiser le cadre juridique existant.

Le Conseil d’Etat a été amené à statuer sur l’application de la nouvelle loi, dans le cadre d’une procédure de référé : une jeune collégienne a été maintenue en permanence par le proviseur d’une cité scolaire, celle-ci refusant d’ôter son bandana dans l’enceinte de l’établissement. Le Conseil d’Etat a rejeté la requête introduite par la mère de la jeune fille au motif qu’« il ne résulte pas que l’administration, en décidant de maintenir en permanence Mlle EL H. tout en poursuivant un dialogue avec sa famille, ait procédé à une application de la loi du 15 mars 2004 qui serait entachée d’une illégalité manifeste alors même qu’un doute existe, en l’état de l’instruction, sur le motif du port d’un bandana par la jeune élève (…) »(CE, référé, 08 octobre 2004, Fteme El H.).

En tout état de cause, le 19 octobre 2004, Dounia et Khouloude, deux collégiennes de Mulhouse âgées de 12 et 13 ans, qui refusaient depuis la rentrée scolaire d’ôter leur voile, ont été exclues de leur collège par le conseil de discipline de l’établissement. Elles sont les premières élèves en France « exclues définitivement » de leur école du fait de la nouvelle loi sur la laïcité.

Selon un bilan établi par le ministère de l’éducation nationale , la mise en œuvre de la loi sur la laïcité du 15 mars 2004 devrait déboucher sur l’exclusion définitive d’une quarantaine d’élèves, dont quatre sikhs et 36 jeunes filles voilées. Trente élèves ont été exclus des établissements scolaires depuis le début de l’année scolaire pour cause de port de signes religieux ostensibles. Onze autres adolescents se trouvent toujours en situation de dialogue et devraient passer devant les conseils de discipline de leur établissement avant la fin décembre 2004. Nous voyons donc que cette nouvelle loi a des répercussions sur la situation des sikhs. Jusqu’ici, les litiges concernaient uniquement les filles musulmanes voilées. Dorénavant, les Sikhs se voient également interdits de port de signes distinctifs à l’intérieur des établissements.

En Allemagne, au Danemark, en Espagne, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, le port du foulard islamique dans les établissements scolaires a donné lieu à un petit nombre de procédures administratives ou judiciaires : dans ces cinq pays, le port du foulard islamique par des élèves de confession musulmane est généralement admis, notamment dans les établissements publics.

Cette attitude est motivée en Allemagne par le respect de la liberté de croyance, au Danemark, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas par la volonté de ne pas prendre de mesures discriminatoires, et en Espagne par le souci d’assurer avant tout la scolarisation des élèves d’origine étrangère.

S’agissant du foulard, la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a eu à trancher que des cas d’espèces. Cela ne permet pas de dégager une position générale au niveau du juge européen.

S’agissant des élèves, la Commission, dans une décision sur la recevabilité du 03 mai 1993. Karaduman, a été appelée à se prononcer sur le refus d’une université turque de délivrer à une étudiante son diplôme dès lors que la photo d’identité produite, sur laquelle elle portait un foulard, n’était pas conforme au règlement de la faculté. De même, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Leyla Sahin contre Turquie du 29 juin 2004, s’est prononcée sur l’interdiction faite aux étudiantes turques de porter un signe d’appartenance religieux. Pour le juge européen, l’interdiction n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. De plus, la Cour donne raison au juge constitutionnel turc qui voit dans la laïcité une garantie de l’égalité des citoyens devant la loi, ainsi que de la liberté de croyance de chaque usager « pour autant qu’elle relève du for intérieur ».

Il est difficile de déterminer si ces décisions sont transposables au cas français, ces décisions ayant trait à l’enseignement supérieur, et non aux collèges et lycées.

Une distinction est faite entre les obligations faites aux élèves et celles faites aux enseignants. Le principe de laïcité de l’enseignement public n’est pas entendu de la même manière à l’égard des enseignants et vis-à-vis des élèves. Les agents contribuant au service public de l’éducation, quels que soient leur fonction et leur statut, sont soumis à un strict devoir de neutralité qui leur interdit le port de tout signe d’appartenance religieuse, même discret. Ce principe est de jurisprudence constante. Cette interdiction est corrélée au principe de neutralité des services publics. Les agents contribuant au service public de l’enseignement sont dans la même position que tous les agents publics.

Dans un avis du 3 mai 2003, Melle Marteaux (arrêté rectoral mettant fin aux fonctions d’une surveillante d’externat) le Conseil d’Etat précise que le principe de laïcité de la république s’oppose à ce que les agents de l’enseignement public « disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ».

La loi du 15 mars 2004 ne modifie pas les règles applicables aux agents du service public et aux parents d’élèves.

La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’interdiction signifiée à une institutrice de revêtir, dans le seul cadre de son activité professionnelle, le foulard islamique, poursuivait un but légitime du respect de la neutralité de l’enseignement primaire public (CEDH, 15 février 2001, Dahlab contre Suisse). La Cour met en balance « le droit de l’institutrice de manifester sa religion et la protection de l’élève à travers la sauvegarde de la paix religieuse ». Elle relève notamment le bas âge des enfants.

* II. L’ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

L’enseignement est un point d’ancrage sensible. Son organisation doit être conforme à la neutralité et la laïcité. Ainsi, les programmes scolaires se doivent en principe d’être neutre dans une école publique.

Cependant, la laïcité de l’enseignement public ne signifie pas que l’Etat ignore le droit à l’instruction religieuse des enfants, et ignore l’instruction aux faits religieux. D’autant que les parents ont une liberté de choix pour l’enseignement de leurs enfants. C’est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC 23 novembre 1977).

De nouveau, la solution trouvée est un équilibre entre des textes clefs et une jurisprudence pragmatique et libérale. Il faut ainsi concilier la neutralité des programmes scolaires avec les convictions des parents et des enfants, tout en respectant le pluralisme éducatif qui doit être assuré aux enfants.

o A. De la neutralité de l’enseignement à l’enseignement du fait religieux

+ 1°) la neutralité de l’enseignement

Selon la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire « la neutralité confessionnelle des écoles » voulue par Jules Ferry implique le retrait de l’enseignement religieux des programmes des écoles pour laisser place à « l’instruction morale et civique ».

Dans un rapport du premier ministre du 18 février 1991, on trouve une définition de la neutralité de l’enseignement. Cela signifie que l’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix.

La neutralité de l’enseignement public est garantie par la loi Debré du 31 décembre 1959 (art. L. 141-2 C. Educ.). Mais elle semble également découler de l’article 1er de la Constitution de 1958 qui dit que « la France […] respecte toutes les croyances ».

La laïcité est considérée comme un des aspects de la neutralité de l’enseignement public, c’est à dire la neutralité des religions. Elle est consacrée par le Préambule de à la Constitution de 1946 qui impose à l’Etat d’organiser un « enseignement public […] laïque ».

Mais la neutralité religieuse des programmes scolaires n’a pas pour objectif d’occulter les traditions religieuses. Les programmes de l’enseignement secondaire réserve une place importante aux religions du Livre : le Christianisme, le Judaïsme et l’Islam. L’incompréhension et l’intolérance naissent de l’ignorance.

Il serait donc néfaste d’exclure complètement ces enseignements des programmes. La France se singularise en Europe par l’absence d’un enseignement spécifique consacré au fait religieux. En Europe, seules la République tchèque et la Hongrie connaissent cette situation, mais il faut souligner qu’elle est compensée par le fait que les ministres du culte peuvent dispenser un enseignement dans les locaux des écoles sur demande des familles.

Même la Cour européenne des droits de l’homme a précisé que même si les Etats ont une obligation de protection contre l’endoctrinement religieux, il n’est pas interdit à la législation nationale de viser « à fournir à tous les enfants une connaissance des faits religieux suffisants » (CEDH, Angelini c/ Suède, 3 décembre 1986). De nombreuses solutions ont été proposées pour remédier à cette solution : création d’un enseignement spécifique de la culture religieuse, formation d’un corps d’enseignants spécialisés, renforcement de la religion dans les programmes d’histoire et de philosophie…

En février 2002, Régis Debray remet un rapport commandé par le ministre de l’éducation nationale Jack Lang, intitulé « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque »

Ce rapport a formulé 12 recommandations concernant l’introduction de l’enseignement religieux dans les programmes scolaires. Ce rapport est formellement opposé à la création d’un cours d’histoire des religions spécifique mais prône la formation des maîtres à l’enseignement des questions religieuses. Cependant il faudra du temps pour la mise en place pratique pour cette nouvelle prise en compte de la religion dans les programmes scolaires.

La neutralité de l’enseignement passe également par la neutralité des manuels scolaires. Parents et élèves ont le droit d’exiger la sélection de manuels respectueux de la neutralité de l’enseignement publique.

Une loi du 27 février 1880 permet aux pères de famille d’attaquer par un recours pour excès de pouvoir le refus du ministre de l’éducation nationale d’interdire un manuel qu’ils estiment contraire à la neutralité (CE 20 janvier 1911 Chapuis, Porteret et Pichon ; CE 8 avril 1911 Rosselin ; CE 14 janvier 1916 Association des familles de Gamarde-les-Bains)

+ 3°) Obligations des enseignants

La première est d’empêcher les ecclésiastiques d’accéder à certains emplois d’enseignants. L’article 17 de la loi du 30 octobre 1886 précise que l’enseignement primaire est confié exclusivement à un personnel laïc (Art. L. 141-5 C. Educ.). Par la suite d’autres textes sont venus interdire l’enseignement aux membres des congrégations religieuses (Loi du 1er juillet 1901 à l’article 14 et Loi du 7 juillet 1904). La loi du 3 septembre 1940 abroge les interdictions relatives aux congréganistes. La seule interdiction aujourd’hui applicable concerne les ministres du culte pour le primaire.

Pour l’enseignement secondaire, aucun texte ne prend clairement parti. Dans un arrêt Bouteyre du Conseil d’Etat du 10 mai 1912, il est reconnu au ministre le pouvoir de refuser aux prêtres la possibilité de passer le concours d’agrégation en philosophie. La jurisprudence Bouteyre est aujourd’hui fortement remise en cause. En effet, cet arrêt discrimine les personnes qui ont fait certains voeux qui ne concernent que leur foi et leur conscience.

L’arrêt Spagnol du 7 juillet 1970 et l’avis du Conseil d’Etat du 21 septembre 1972 contredisent l’arrêt Bouteyre. Dans la décision du tribunal administratif de Paris, Spagnol, la solution précédente n’est pas transposée aux autres matières (en l’espèce il s’agissait de cours de langue). Puis dans un avis, le Conseil d’Etat dit qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que des fonctions soient confiées à des membres du clergé. Dès lors qu’aucune extériorisation des convictions n’est faite (avis du Conseil d’Etat en 2000 relatif à l’affaire Delle Marteaux) rien ne justifierait une telle interdiction.

La deuxième est de soumettre les enseignants à une obligation de neutralité. C’est la substitution de l’instruction morale et civique à l’enseignement religieux par la loi du 28 mars 1882 qui a ouvert le débat sur la neutralité du maître. La parution des premiers manuels anticléricaux laissait présumer que les cours d’instruction morale seraient l’occasion pour les enseignants de discréditer la religion auprès des élèves.

Jules Ferry calme la polémique en adressant une « Lettre aux instituteurs » pour leur demander de rester neutre au cours de leurs enseignements. Le risque de cette neutralité est d’exclure tous les sujets délicats notamment les questions religieuses. La circulaire Jospin du 12 décembre 1989 adresse la même obligation de neutralité à tous les enseignants du primaire et du secondaire.

Elle interdit aux enseignants d’influencer les enfants par des prises de position idéologiques ou religieuses. En cas de non respect de cette obligation, il s’agira d’une faute personnelle avec responsabilité devant les tribunaux civils. Mais il y a peu de jurisprudence donc l’obligation semble respectée en pratique. Mais la neutralité n’est pas absolue : cours d’éducation civique, mise en place de la « Semaine d’éducation contre le racisme » par SOS Racisme.

Le ministre de l’éducation a justifié cela en affirmant que si la neutralité est le refus de propagandes politiques, idéologiques et religieuses, elle n’est pas pour autant l’absence de valeurs. Cette opinion est partagée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er mars 1993, Ministre de l’éducation contre Association des parents d’élèves de l’enseignement public de Montpellier (AJDA 1993.881).

Cette obligation ne s’impose qu’aux écoles primaires et secondaires et se limite à l’enceinte de l’établissement et aux heures d’enseignement. Le juge protège la liberté religieuse des enseignants (CE, 28 avril 1938, Delle Weiss ; CE, 5 janvier 1944, Dame Tetaud) en dehors de l’établissement scolaire.

+ 4°) Conséquences de la neutralité pour les élèves

La neutralité leur confère des droits et leur impose des interdictions.

Ils ont le droit d’accéder à l’enseignement public indépendamment de leurs idées, de leurs croyance ou de leur origine ethnique (T.A. Bordeaux, 14 juin 1988, El Aouani : annulation du refus d’un maire d’accueillir à l’école de jeunes maghrébins).

Ils ont un droit général au respect de leurs conviction personnelles tant par le personnel enseignant et non enseignant que par les autres élèves.

Le décret du 18 février 1991 reconnaît aux lycéens la liberté de la presse et d’association, aux lycéens et collégiens la liberté d’expression et de réunion. Il subordonne leur exercice au respect de cette neutralité. Les associations ne peuvent avoir un objet ou une activité de caractère politique ou religieux (Art. L. 511-2 C. Educ.).

Dans un arrêt du Conseil d’Etat, Rudent du 8 novembre 1989, il ressort que le principe de neutralité était incompatible avec des réunions politiques organisées dans un établissement scolaire, même en dehors de cours et sans intervention extérieure. Le régime des réunions religieuses est le même que celui des réunions politiques.

Concernant la presse et toute expression écrite, aucun bulletin à caractère strictement religieux ne peut être autorisé. Mais cela n’interdit pas d’aborder de manière ponctuelle un thème religieux dans la limite du respect des convictions d’autrui.

Nous voyons donc que le débat religieux n’a pas sa place à l’école en opposition au droit des élèves de manifester et d’exprimer ses croyances religieuses.

o B. La liberté d’enseignement et le droit à l’instruction des enfant

Le principe de neutralité de l’école doit se concilier avec le principe de liberté de l’enseignement. Toutefois, cette liberté de l’enseignement n’est pas totale, elle est encadrée par le droit fondamental des enfants à l’instruction.

+ 1°) la liberté de l’enseignement

Dès 1833, sous le Concordat, les lois Guizot ont posé le principe selon lequel : « l’instruction primaire est privée ou publique » : toute commune était tenue d’entretenir au moins une école primaire élémentaire, soit par elle-même, soit en se réunissant à plusieurs communes voisines.

Trois lois fondamentales vont ensuite fixer le statut juridique des établissements privés : la loi Falloux du 15 mars 1850, qui va reconnaître « deux espèces d’écoles primaires ou secondaires ». Nous distinguons les écoles libres fondées et entretenues par des particuliers et des associations et les écoles publiques fondées ou entretenues par le communes, les départements ou l’Etat. ; la loi Gobelet du 30 octobre 1886 relative à l’enseignement primaire, la loi Astier du 25 juillet 1919 sur l’enseignement technique.

Ces lois posent donc le principe d’un choix dans les établissements pour l’enseignement.

La loi du 31 mars 1931 va définir la liberté de l’enseignement comme l’un des « principes fondamentaux de la République ». C’est finalement la loi Debré du 31 décembre 1959 qui a permis de définir les rapports actuels entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés, instituant un certain équilibre.

Puis, dans une décision du 23 novembre 1977, le Conseil Constitutionnel va faire figurer la liberté de l’enseignement parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république. La liberté de l’enseignement est donc un principe fondamental, auquel on ne peut déroger.

Les parents n’ont pas l’obligation d’inscrire leurs enfants dans un établissement public. Cette liberté a également été affirmée par le juge de Strasbourg (CEDH, 25 mai 2000, A.J. Alonso et P.J. Merino contre Espagne).

La France est également liée par un ensemble de textes internationaux sur la question de la liberté d’enseignement :

* l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui suppose le droit des parents au choix de l’éducation religieuse de leur enfant ;

* l’article 2 du Protocole I de la Convention EDH : « L’Etat doit respecter le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » ;

* le Pacte International relatif aux droits civils et politiques et le Pacte International relatif aux Droits économiques et sociaux de 1966 : « les Etats Parties s’engagent à respecter la liberté des parents de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, et de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions » ;

* la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui affirme le droit de l’enfant à la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, ainsi que le droit de l’enfant d’accéder à l’enseignement dans le respect de ses différences culturelles ;
* l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux, qui affirme le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions eligieuses, philosophiques et pédagogiques.

On peut constater que dans ces textes internationaux, le concept de « laïcité » n’y apparaît pas. C’est sous l’angle de la liberté de religion que sont indirectement appréhendés les rapports Ecole/Religion.

La liberté de l’enseignement recouvre plusieurs aspects. Elle suppose que les élèves ne soient pas contraints de suivre un enseignement religion, permet également aux enfants d’être instruits en dehors de toute établissement scolaire, qu’il soit privé ou public et signifie enfin que les parents ont la faculté de choix entre un établissement public ou privé.

Mais quid du principe de laïcité en ce qui concerne les établissements privés d’enseignement ?

En premier lieu, force est de constater que l’Etat est amenée à subventionner des établissements privés, alors même que ceux-ci seraient ouvertement religieux. Cette atteinte à la neutralité de l’Etat s’explique par l’idée d’un contrôle de l’Etat. Comme il sera développé par la suite, les subventions permettent d’imposer, en contrepartie, des obligations aux établissements. Le Conseil d’Etat, par sa jurisprudence, a joué un grand rôle dans l’interprétation des règles applicables en matière d’enseignement, consolidant l’équilibre voulu par le législateur. Il a notamment eu à traiter de nombreux contentieux nés de l’application de la loi de 1904 qui interdisait à toutes les congrégations l’enseignement « de toute sorte et de toute nature ». Il a ainsi souvent annulé des arrêtés fermant des établissements de congrégations qui ne pouvaient être totalement fermés dès lors qu’ils ne se consacraient pas exclusivement à l’enseignement (CE, 27 juillet 1906, Congrégation des sœurs de la Sainte-Enfance de Jésus).

Le Conseil d’Etat a également eu à connaître d’affaires portant sur les conditions d’ouverture des écoles libres ou sur les subventions d’investissements des collectivités locales aux établissements privés, la règle en ce domaine étant largement de nature jurisprudentielle.

Le Conseil va ainsi poser le principe de prohibition des investissements pour l’enseignement primaire (CE, 19 mars 1986, Département de la Loire Atlantique). Mais le principe est la liberté pour l’enseignement technique (CE, 29 octobre 1930, Commune de Villeneuve d’Aveyron) et supérieur (CE. Ass., 01 juin 1956, Canivez). Il existe des limites concernant l’enseignement secondaire, la loi Falloux fixant le maximum des subventions au dixième des dépenses annuelles des établissements (CE. Ass., 06 avril 1990, Ville de Paris). Dans cette décision, le conseil a par ailleurs estimé que les aides accordées relevaient toujours de l’article 69 de la loi Falloux. L’accord Lang-Cloupet du 13 juin 1992 entre le ministre chargé de l’Education et le secrétaire général de l’enseignement catholique a réglé le contentieux financier entre l’Etat et l’enseignement privé sous contrat. Mais une proposition de loi de 1993 a fait rebondir le débat. Elle visait à réformer la loi Falloux. Ses dispositions ont finalement été jugées inconstitutionnelles.

En second lieu, force est de constater que les établissements privés ne sont pas soumis aux principes de laïcité. Les différentes circulaires puis la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes d’appartenance religieux n’ont pas vocation à s’appliquer dans ces établissements. Des cours de religion peuvent y être dispensés. Ainsi, la liberté de l’enseignement permet aux parents d’instruire leurs enfants en respect avec la religion souhaitée. Mais nous allons voir que cette liberté de l’enseignement n’est pas totale. Il faut en effet distinguer entre liberté de l’enseignement et liberté de l’instruction. Ainsi, tous les enfants ont l’obligation d’être instruits. La liberté de l’enseignement ne peut faire obstacle à ce droit à l’instruction et au pluralisme éducatif.

+ 2°) Le droit à l’instruction et le respect du pluralisme éducatif

La liberté reconnue aux parents concernant l’enseignement trouve une limite importante : elle ne peut faire obstacle à l’accomplissement des missions dévolues par le législateur au service public de l’éducation, qui doit notamment permettre l’acquisition par l’enfant d’une culture, sa préparation à la vie professionnelle, et à ses responsabilités d’homme et de citoyen, le développement de sa personnalité, et lui permettre de lui inculquer le respect de l’individu.

Dans ce but, l’Etat se voit astreint à une obligation de garantir cette instruction à l’enfant. La jurisprudence européenne a posé des principes fondamentaux concernant le droit à l’instruction de l’enfant et le respect du pluralisme éducatif face aux convictions religieuses des parents et des enfants. Il n’est pas reconnu un droit absolu à toutes les formes d’éducation. La France s’est inspirée de ces principes européens dans sa législation et sa jurisprudence.

Dans l’arrêt Kjeldsen Busk Mandsen et Peterson contre Danemark du 07 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l’homme a posé le principe que l’Etat doit avoir pour objectif de « voir les enfants apprendre à respecter et à tolérer les idées et les croyances d’autrui ». Il s’agissait de parents voyant dans l’intégration de l’éducation sexuelle dans les matières enseignées dans les écoles publiques danoises une atteinte à leurs convictions chrétiennes. Il souhaitaient instruire eux-mêmes leurs enfants dans ce domaine. La Cour va conclure à la non violation de l’article 2 du Protocole 2.

En conséquence, les parents ont le « droit au respect de leurs convictions » mais il ne leur est pas garanti un « droit absolu d’assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions » (DR, Graeme contre Royaume-Uni, 05 février 1990).

Il s’agit d’une conciliation entre le droit à l’éducation des enfants, et les fonctions naturelles d’éducateur des parents, selon leurs propres convictions.

La cour admet même l’adoption de sanctions de renvoi scolaire lorsque des élèves sont hostiles, au nom de leurs croyances religieuses et celles de leurs parents, à la participation de l’enseignement scolaire (CEDH, 18 décembre 1996, Valsamis contre Grèce : refus de participer à un défilé scolaire organisé à l’occasion de la fête nationale au nom de croyances religieuses), dès lors qu’il s’agit d’évènements qui « servent, à leur manière, à la fois des objectifs pacifistes et l’intérêt public ».

En fait, lorsqu’au lieu de le conforter, le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses entre en conflit avec le droit de l’enfant à l’instruction, les intérêts de l’enfant priment. (CEDH, 30 juin 1993, Nilsson contre Suède ; CEDH, 08 septembre 1993, Bernard & autres contre Luxembourg ; CEDH, 27 avril 1999, Martins Casimiro & Cerveira Ferreira contre Luxembourg).

Le Conseil d’Etat français a suivi le même raisonnement dans son arrêt du 06 octobre 2000, Association Promouvoir. Le litige portait sur la distribution d’une brochure aux élèves des lycées et des classes de troisième sur la contraception : la distribution est permise, mais les autorités doivent s’assurer que les convictions des parents « ne soient pas heurtées à ce niveau par imprudence, manque de discernement ou prosélytisme intempestif ».

En ce qui concerne les établissements publics, en vertu de la loi du 15 mars 2004, les convictions religieuses des élèves ou des parents ne leur donnent pas le droit de s’opposer à un enseignement. On ne peut admettre, par exemple, que certains élèves prétendent, au nom de considérations religieuses ou autres, contester le droit d’un professeur, parce que c’est un homme ou une femme, d’enseigner certaines matières ou le droit d’une personne n’appartenant pas à leur confession de faire une présentation de tel ou tel fait historique ou religieux.

Cette obligation pour l’Etat de sauvegarde du pluralisme éducatif a vocation à s’appliquer pour le secteur public comme pour le secteur privé (effet horizontal du principe).

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 25 février 1982, Campbell et Cosans contre Royaume-Uni, vise tout système éducationnel.

En ce qui concerne les établissements privés, on a pu constater que le principe de laïcité n’avait pas vocation à s’appliquer. Ces établissements peuvent enseigner la religion. Cependant, l’Etat n’est pas absent. Il les soumet à son contrôle, en contrepartie de l’aide financière qu’il leur apporte. L’Etat intervient par le biais de contrats plus ou moins contraignants. C’est la loi Debré du 31 décembre 1959 qui a ouvert une nouvelle phase pour la liberté de l’enseignement. Cette loi est fondée sur l’idée d’obligations et de droits réciproques entre l’Etat et les établissements, par des contrats simples ou des contrats d’association. L’Etat assure la rémunération des enseignants dans les deux cas, et, pour les contrats d’association, les dépenses de fonctionnement « dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public ».

La loi Guermeur du 25 novembre 1977 est venue renforcer les obligations financières de l’Etat à l’égard de l’enseignement privé.

Ainsi, l’Etat inspecte le contenu de l’instruction obligatoire, même pour les établissements hors contrats. Cette inspection a d’ailleurs été renforcée par la loi du 18 décembre 1998.

Par ailleurs, malgré le caractère privé de ces établissements, tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance, doivent y avoir accès. Selon les indications données par des représentants de l’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’enseignement libre à la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la question du port de signes religieux à l’école, les écoles privées catholiques scolariseraient environ 10% d’enfants musulmans ou d’origine musulmane. Cela résulte du droit des enfants à l’instruction, droit auquel on ne peut déroger.

Conclusion

Le système éducatif français présente dans son ensemble un bon terrain de conciliation entre les différents intérêts en jeu.

Mais la liberté de conscience à l’école trouve cependant certaines limites. Ainsi, il existe une possibilité de refus d’admission d’un enfant à l’école en vertu des articles 6, 7 et 7-1 du code de la santé publique. Tant qu’ils n’auront pas subi les vaccinations obligatoires, les enfants peuvent être exclus d’établissements scolaires. Dans l’intérêt de la santé publique, on ne peut passer outre les convictions personnelles des parents. Par cet exemple, nous voyons que les convictions personnelles des parents et des enfants rencontrent certaines limites.

Cependant, il apparaît chaque fois de nouvelles revendications de la part des parents d’élèves. La dernière en date concerne des parents d’enfants musulmans qui souhaitent que de la viande hallal soit servie en cantine scolaire. A défaut, ils souhaitent qu’aucune viande ne soit servie à leurs enfants. Il convient donc de s’interroger sur les prochaines limites qui seront apportées à la liberté religieuse dans les établissements scolaires.

BIBLIOGRAPHIE

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par Yassamine El Houari, par Déborah Louvel

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