L’efficacité d’une redevance
forestière mesure sa capacité à
transférer la rente forestière au
propriétaire de la ressource
naturelle, c’est à dire, à tenir
compte le plus possible des
trois caractéristiques de la rente
forestière précédemment évoquées.
Mais le propriétaire doit
comparer le gain ainsi obtenu
avec le coût de l’effort nécessaire
pour réaliser ce transfert,
appelé coût administratif
(Hyde, Sedjo, 1992), l’administration
étant généralement
en charge du prélèvement de la
rente forestière. Ce coût est
composé des coûts de contrôle
de l’assiette (matière sur laquelle
est assise la redevance)
et de recouvrement de cette
redevance. Il est donc d’autant
plus faible que l’assiette et le
recouvrement de la redevance
sont faciles à contrôler.
La possibilité de manipuler les
prix de transfert interdit l’utilisation
d’une redevance dont
l’assiette est « monétaire », par
exemple un impôt sur les
bénéfices ; restent alors celles
dont l’assiette est « physique »,
volume ou superficie exploités
(Gillis, 1980).
Dans cette seconde catégorie, il
existe, en théorie, une redevance
parfaitement efficace la
redevance pleinement différenciée
(Gillis, 1980 ; Hyde,
Sedjo, 1992). C’est une redevance
dont l’assiette n’est en
vérité pas purement physique,
puisque c’est la rente ricardienne
d’un arbre donné. Cette
rente étant différente pour chaque
essence, chaque qualité
d’une essence donnée, et selon
la localisation de l’arbre à
l’intérieur du territoire, il existe
à peu près autant de redevances
que d’arbres dans les forêts
exploitées, soit un nombre
considérable. Le coût de
contrôle de l’assiette de cette
redevance est donc prohibitif,
notamment parce que le trait
caractéristique de la forêt tropicale
est d’être une ressource
naturelle fortement hétérogène.
Une redevance fixe, au volume
ou à la superficie (tant
d’unité monétaire par mètre
cube ou par hectare), minimise
ce coût, avec un très net avantage
pour la redevance annuelle
de superficie. En effet, le
contrôle d’une superficie est
plus simple que celui du volume
de l’ensemble des arbres
récoltés sur cette superficie,
même si, à l’échelle d’un pays,
ce contrôle n’est évidemment
pas systématique. Mais l’efficacité
est médiocre car une
redevance fixe ne tient compte
ni de l’inégalité de répartition
de la rente forestière – elle
entraîne l’écrémage à la marge
intensive et extensive – ni de la
fluctuation des prix des bois
tropicaux.
Les imperfections inhérentes
à une redevance fixe peuvent
être améliorées :
· en utilisant une table des
valeurs mercuriales, révisée
périodiquement pour la redevance
sur le volume, qui devient,
alors, une redevance ad
valorem, calculée comme un
pourcentage du prix de marché
de l’essence ;
· en utilisant un mécanisme
d’enchères pour fixer le taux de
la redevance de superficie.
La première amélioration tient
imparfaitement compte de
l’inégalité de répartition de la
rente forestière, notamment
celle à la marge extensive, mais
permet de suivre l’évolution des
prix. La seconde tient mieux
compte de l’inégalité de répartition
de la rente forestière,
surtout à la marge extensive,
mais elle est moins efficace
pour suivre les évolutions de
prix, même s’il est toujours
possible de bâtir un indice de
révision annuel du taux de la
redevance.
Dans les deux cas, les coûts de
contrôle de l’assiette augmentent
la redevance ad valorem
nécessite, en effet, de contrôler
non seulement les volumes
(photo 2) mais, aussi, les essences,
chacune ayant un prix
de marché différent, et de col
collecter
les prix de référence sur
les marchés de consommation.
Quant à la redevance de superficie
– la fixation, lors des
enchères, du prix plancher et
surtout du prix de retrait à un
niveau réaliste – elle nécessite
une certaine connaissance,
même imparfaite, des caractéristiques
de la ressource
forestière.
· En utilisant conjointement
ces deux redevances, on obtient
a priori le rapport
efficacité/coût administratif du
prélèvement de la rente
forestière le plus satisfaisant
(Hyde, Sedjo, 1992). Les
éléments d’appréciation
empirique font cependant
défaut. Ceux des auteurs qui se
sont livrés au calcul de la part
de la rente forestière prélevée
par l’Etat dans les pays
tropicaux ont conclu à une
faible appropriation (Page et
aL, 1976 ; Ruzicka, 1979 ;
Repetto, Gillis, 1988 ; Vincent,
1990). Mais, pour les périodes
et les pays ou les régions
étudiés (respectivement au
Ghana en 1970, au Kalimantan
dans la première moitié des
années 70, en Indonésie et en
Malaisie entre 1970 et le début
des années 80 et en Malaisie
entre 1966 et 1985), le taux de
la redevance à la superficie est
très faible, il n’est pas fixé par
des enchères et les redevances
sur le volume sont pour partie
des redevances fixes. Enfin,
aucun de ces auteurs n’a
procédé à une estimation du
coût administratif des
différentes options. Seuls Hyde
et Sedjo (1992 et 1993)
indiquent que cet aspect du
problème vaut d’être examiné
sérieusement. Ils ajoutent aussi
que l’augmentation du taux de
la redevance ad valorem sur le
volume accroît l’incitation à
tricher, c’est à dire à ne pas
payer cette redevance, le gain
du tricheur s’élevant
proportionnellement.
Une remarque pour conclure.
Il existe deux façons de
Photo 2.
contrôler l’assiette d’une
redevance ad valorem
· sur le chantier
d’exploitation forestière et,
dans ce cas, on parle de
redevance d’abattage ;
· ou au moment de
l’exportation et, dans ce cas, on
parle de taxe à l’exportation.
De fait, l’assiette n’est plus la
même car des arbres peuvent
être abattus, puis finalement
abandonnés en forêt. Le coût
de contrôle de l’assiette, non
plus, n’est pas le même. Dans
un cas, il faut visiter un certain
nombre de chantiers
d’exploitation forestière
(suffisamment pour que la
menace du contrôle soit
crédible). Dans l’autre, il faut
être présent dans les ports
d’exportation, peu nombreux en
général pour un pays donné, ce
qui est beaucoup moins
coûteux, même si, en toute
rigueur, il faudrait comparer
cette baisse du coût avec la
perte de recettes fiscales due
aux abandons en forêts. De
plus, la taxe à l’exportation peut
être utilisée comme un « tarif
commercial » destiné à
favoriser le développement
d’une industrie locale de
transformation manufacturière
du bois. Dans ce cas, fréquent
dans les pays tropicaux, le
terme de taxe est conservé,
même si la taxe à l’exportation
prélève aussi une partie
(généralement importante) de
la rente forestière, ce qui
justifierait le recours au terme
de redevance (Gillis, 1992).