24% des filles victimes de mariages précoces et forcés

Le 11 octobre 2012 , la jeune fille était à l’ honneur à l’ occasion de la première édition de la journée internationale à elle consacrée. Dans la région de l’ Extrême-Nord , cette célébration est devenue dans un contexte où au moins 24% des filles de cette parie du pays continuent de subir les affres des pesanteurs socioculturelles qui ne favorisent pas leur émancipation .Elles sont encore nombreuses en effet à subir le mariage précoce et forcé , selon l’Association de lutte contre les violences faite aux femmes. Cette pratique discriminatoire va crescendo en dépit des actions que mènent certaines organisations non gouvernementales et des nombreuses autres Associations.

Selon de nombreuses Associations , militants pour cette couche sociale , les causes des mariages précoces et forcés sont entre autres la pauvreté , la préférence du jeune garçon par rapport à la fille et la crainte des grossesses précoces .S’agissant du premier facteur , la dépendance économique est l’ élément déclencheur .Selon une étude menée par Dynamique citoyenne, un réseau national de suivi indépendant des politiques publiques et des stratégies de coopération au Cameroun , deux habitants sur trois vivaient avec moins de 400 FCFA par jour à l’ Extrême -nord en 2009. « Dans ce contexte, les parents ignorants pensent que la solution à leur misère passe par l’envoi des filles en mariage. Pour eux, envoyer la fille en mariage est comme se libérer d’un fardeau , notamment en ce qui concerne certaines charges liées à sa santé, à l’éducation et à ses autres besoins. C’est dont à ce niveau qu’advient la discrimination entre le garçon et la fille .Pendant qu’on contrait la fille au mariage précoce , qui dans la plupart des cas échouent , le garçon lui il continu sereinement ses études .La peur des grossesses précoces est à la base des mariages précoces et forcés » , a expliqué Mme Doumara , coordonnatrice régionale de l’ Association de lutte contre les violences faites aux femmes dans l’ Extrême-Nord . « Selon certaines croyances religieuses et des us et cultures , la grossesse avant la mariage est perçue comme un signe de déshonneur pour les parents et une mauvaise éducation donnée à la fille . Cet acte , croit –on , peut avoir des conséquences sur le mariage des autres filles de la famille d’une part , et d’autre part peut les encourager à avoir une sexualité précoce qui est synonyme de grossesse précoce » , explique la coordonnatrice .
Le fléau des mariages précoces et forcés n’épargne aucune localité de la région .Cette gangrène sociale continue d’étendre ses tentacules .Néanmoins, dans certaines zones, on remarque la pratique n’est pas encore atteint la coté d’alerte .Toujours selon l’ étude régionale sur les mariages précoces et forcés dans la région de l’ Extrême-nord réalisée en 2009 par Dynamique citoyenne, Maroua arrive en tête des villes les plus touchées par cette pratique avec 37,57%. Elle est suivie de Kousserie avec 23,56%, Yagoua avec 9,55% Mora occupe l’avant dernier place avec 8,91% Mokolo avec 7% occupe le bas du classement. Si Maroua et Kousserie ont enregistré les taux les plus élevés des mariages précoces et forcés, il faut aussi relevé que ces deux villes enregistrent le plus fort taux d’excision des filles dans la région.

Pour éradiquer ce phénomène, l’Alvf est à la pointe du combat. Depuis sa création en 1998, 1010 filles victimes des mariages précoces et forcés ont été accueillies dans le seul centre de Maroua. Grâce à la collaboration des autorités administratives, traditionnelles et religieuses, et les plaidoyers menés auprès des parents, certaines filles ont retrouvé le chemin de l’école. Mais pour madame Doumara la coordinatrice de cette association, il faut une réelle volonté des autorités pour parvenir à renvoyer aux calendes grecques les pratiques discriminatoires qui placent toujours les femmes et les filles au second rang de la société.
<< Il faudrait que des lois sur les violences sexistes soient votées et c’est maintenant qu’on doit le faire, au moment où une journée internationale est consacrée aux filles. Les problèmes qu’elles vivent seront mis en exergue et seront dissociés de ceux vécus par la femme. Il faut que nos gouvernants se rendent compte de l’urgence de statuer sur ces questions spécifiques. Au plan régional , je me souviens qu’en 2010 , nous avions soumis aux services du gouverneur un projet de circulaire régionale qui devrait interdire la pratique des mariages précoces et forcés et obliger les parents à laisser leurs filles à l’école jusqu’à l’obtention du BEPC au moins . Malheureusement, jusqu’à ce jour , cette circulaire n’est pas signée . pour nous, c’est très important de détenir un tel document pour la simple raison qu’il aura uni effet dissuasif >> , a indiqué la coordonnatrice .
La célébration de la journée internationale de la fille à Maroua qui avait pour cadre l’esplanade des services du gouverneur, à été l’occasion pour les autorités de réfléchir sur la situation des filles de la région. Babila Akaou , représentant du gouverneur à cette cérémonie , a présenté la situation de cette catégorie sociale . << L a célébration que nous lançons aujourd’hui est loin d’être un simple moment de plaisir , mais plutôt , elle nous permet de marquer un temps d’arrêt afin de réfléchir sur la situation de la fille dans notre région >> , a-t-il martelé avant d’ajouter que << le défi étant de s’assurer que les filles et tous les enfants reçoivent une éducation , des soins de santé , de l’eau propre et la protection auxquels ils ont droit . Car pour résoudre définitivement les inégalités auxquelles les femmes sont confrontées, il faut commencer à donner aux filles dès leur naissance et tout au long de leur vie la possibilité de grandir dans le respect de leurs droits >>

« Nous voulons un code de la famille pour le Cameroun »

La célébration par la communauté internationale de la 1ère édition de la journée de la fille est-t-elle selon vous, la reconnaissance des idéaux que vous défendez ?

Le 11 octobre 2012, journée internationale de la fille, j’ai eu le sentiment de satisfaction, le sentiment que nous sommes compris. Je suis comblée de joie en raison de l’aboutissement d’un combat que nous avons commencé depuis une quinzaine d’années. Nous avons notamment mis sur pied une stratégie de lutte contre les mariages précoces et forcés et les autres discriminations à l’égard de la fille. Nous sommes vraiment comblées qu’enfin la voix des femmes et des filles soit entendue à l’échelle internationale.
Quelles sont les pesanteurs socioculturelles qui freinent l’émancipation de la jeune fille dans la région de l’Extrême-nord ?
En ce qui concerne les pesanteurs socioculturelles qui freinent l’émancipation de la fille dans notre région, nous pouvons citer entre autres la préférence du garçon à la fille. Vous savez que dès qu’une femme est enceinte, les personnes de sa famille et même son entourage s’attendent à ce qu’elle accouche un garçon, parce que le garçon veut dire la continuité de la famille. Lorsqu’il arrive qu’elle donne naissance à une fille, le père de la famille est presque déçu et peut même annoncer au visiteur que sa femme vient d’agrandir sa cour de « bordel ».
Qu’est-ce qui va fondamentalement changer au niveau des problèmes des filles avec l’instauration de cette journée ?
Tout d’abord, je dois dire que cette date du 11 octobre nous donne l’occasion d’écrire une nouvelle page de l’histoire de notre combat. Nous pensons que maintenant ces problèmes vont prendre une autre tournure. Cela s’adresse directement à nos gouvernements. Et vous savez que dans notre pays, il n’y a pas encore un code de famille. C’est donc l’occasion pour nous d’accentuer nos plaidoyers pour que notre pays puisse adopter un code de la famille qui parlerait des questions des mariages précoces et forcés, parce que notre pays a des lois qui sont discriminatoires vis-vis de cette tranche d’âge. Dans le projet du code de la famille, on s’attendrait à ce que l’âge du mariage soit rehaussé à plus de 18 ans pour la jeune fille. Et également, il faudrait que des lois sur les violences sexistes soient votées, et c’est maintenant qu’on doit le faire au moment où une journée internationale est consacrée aux filles. Les problèmes qu’elles vivent seront mis en exergue et seront dissociés de ceux vécus par la femme. Il faut que nos gouvernants se rendent compte de l’urgence de statuer sur ces questions spécifiques. Vous savez que l’environnement de la fille et de la femme n’est pas sécurisé. Il y a des actions que nous menons pour pouvoir amener la quiétude et la fille dans ses droits. Dans ce sens, dans notre pays, nous n’avons pas un protocole sécurisé. Cette journée permettrait également à d’autres personnes qui ne sont pas impliquées dans cette lutte de nous emboîter le pas pour militer et combattre afin que la fille recouvre tous ses droits et qu’elle soit considérée comme une personne à part entière.

Quelles sont les actions que mène votre association contre les discriminations à l’égard des filles ?

Les actions que nous menons pour lutter contre ces pratiques sont structurées à différents niveaux. Au niveau onto, micro, méso et macro système. A travers ces niveaux, nous faisons à la fois des interventions au niveau primaire et secondaire. S’agissant du niveau onto, nous travaillons spécifiquement avec les femmes et les filles victimes des mariages précoces et forcés ou des survivantes de cette pratique. Et pour chacune d’entre elles, il y a une intervention spécifique. Pour celles qui sont en proie à cette pratique, nous avons un accompagnement et un suivi structuré avec beaucoup de paquets pour pouvoir les amener à recouvrer les droit qu’elles ont perdus.

Au niveau micro nous faisons de la sensibilisation, de l’éducation communautaire pour le changement de comportement. A ce niveau, nous avons mis sur pied plusieurs structures relais de sensibilisation, notamment les associations pour la promotion de l’autonomie et des droits de la fille (Appas), les brigades de dénonciations des violences faites aux filles à l’école et hors de l’école, et également un réseau des femmes de l’Extrême-Nord pour la gouvernance locale. La question des mariages précoces et forcés est un fléau qui doit être combattu à tous les niveaux aussi bien en famille qu’au niveau des grandes instances décisionnelles comme le parlement. Pour cela nous menons plusieurs actions de plaidoyers au niveau macro, c’est-à-dire que noue associons d’autres structures qui luttent contre les discriminations à l’égard des femmes et même à l’égard de tout être humain pour qu’ensemble nous puissions conduire des plaidoyers communs.

Vous avez participé à plusieurs conférences internationales. Quels sont les problèmes des filles de cette partie du pays que vous exposez le plus ?

je me souviens bien qu’en 2010, nous avions participé à la rencontre du pré-sommet des chefs d ’États africains à Kampala. A cette rencontre, les délégués des différents pays devaient parler des problèmes majeurs que rencontrent les filles et les femmes dans les milieux reculés comme notre région. Nous, nous avons parlé de la pratique des mariages précoces et forcés et d’autres problèmes tels que l’absence des femmes dans les instances des prises des décisions, la difficulté d’accès aux soins de santé. Parmi tous ces problèmes, c’est le mariage précoce et forcé que nous avons mis en exergue. A cette occasion, nous avons présenté dans notre communication à remettre aux chefs d ’États, l’urgence de dédier une journée à cette pratique et de prendre des mesures pour la bannir. Également l’année d’après, en 2011, nous avons été invitée à la réunion des experts à Addis-Abeba, notamment à l’occasion de pré-sommet des chefs d’ États de l’Union africaine. A cette occasion, nous avons encore présenté une communication portant spécifiquement sur les mariages précoces et forcés et avons déroulé leurs origines et les conséquences de cette pratique sur la vie de la fille elle-même, sur celle de la femme et sur la communauté tout entière. Et cette année même, lors de la 55e session sur la Commission du statut de la femme à New-York, nous avons participé à cette rencontre parmi les groupes des femmes africaines. Dans le communiqué final que nous avons publié, nous avons réitéré notre demande par rapport à cette pratique. Les résultats de cette participation ont permis non seulement d’obtenir une journée contre les mariages précoces et forcés, mais une journée dédiée entièrement à la fille pour qu’on puisse parler de tous les problèmes quelle vit quotidiennement. Nous avons également attiré l’attention de la communauté internationale sur la pratique de l’excision qui est encore d’actualité dans certaines localités de notre région.

Comment entrevoyez-vous l’avenir des filles de l’Extrême-nord qui continuent de vivre les affres des préjugés socioculturels ?

Vous savez, le changement de comportement est un processus très lent et prend beaucoup de temps. Certes, la situation n’est pas reluisante, mais nous avons espoir que les choses vont changer et nous voulons que les choses changent. C’est pour cette raison que la sensibilisation doit être privilégiée. A cela il faut ajouter l’éducation. Je suis persuadée que si toutes les filles vont à l’école, les choses ne seront plus les mêmes. Parce que l’école apporte des valeurs réelles d’ouverture et d’information de par le monde. Comme vous pouvez le constater, la majorité de nos filles ne vont pas à l’école, et quand même certaines y vont, ce n’est pas dans le but d’acquérir des connaissances parce qu’elles sont victimes des pratiques discriminatoires qui ne leur permettent pas de se réaliser. Aussi, elles sont rapidement rattrapées par le mariage précoce et forcé.