7 juillet 1950 – Dehaene
Droit de grève des fonctionnaires
Analyse

Par la décision Dehaene, le Conseil d’État juge qu’en l’absence de loi applicable, il appartient aux chefs de service de réglementer le droit de grève des fonctionnaires.

Pendant une longue période, les fonctionnaires n’eurent pas le droit de faire grève. Ce n’est pas que la loi l’interdisait expressément, mais cela semblait incompatible avec les nécessités du service public et la sauvegarde de l’ordre public et de l’autorité de l’État (cf. CE, 7 août 1909, Winkell, n°373317, p. 826). Le Préambule de la Constitution de 1946 avait toutefois modifié les données juridiques de cette question lorsque le Conseil d’État fut amené à se prononcer sur le blâme infligé au sieur Dehaene, chef de bureau dans une préfecture, en raison de sa participation à une grève à laquelle le ministre de l’intérieur avait interdit aux agents d’autorité de participer. Ce Préambule prévoit en effet que “le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent”. Mais, s’agissant des fonctionnaires, deux lois seulement étaient intervenues, toutes deux relatives à certains personnels chargés de la sécurité intérieure.

Le Conseil d’État se trouvait donc dans une alternative juridique délicate. Admettre que cette disposition du Préambule avait une valeur normative pour le pouvoir exécutif ne faisait pas difficulté. Mais, faute pour le législateur d’avoir réglementé la matière, la Haute Assemblée ne pouvait guère qu’en rester à la jurisprudence antérieure au motif que la disposition du Préambule n’était pas applicable sans texte d’application ; ou alors admettre sans limitation l’exercice du droit de grève par les fonctionnaires. Aucune de ces solutions n’était satisfaisante : il ne fait guère de doutes que l’ordre public exige que le droit de grève des fonctionnaires soit limité ; mais, à l’inverse, la distorsion entre les droits des salariés du secteur privé et ceux des fonctionnaires devenait trop flagrante pour demeurer admissible.

Sur la suggestion de son commissaire du gouvernement, le Conseil d’État s’engagea sur une troisième voie consistant à juger qu’en l’absence de loi applicable, il appartient aux chefs de service de réglementer le droit de grève des fonctionnaires et d’organiser la nécessaire conciliation entre ce droit et la continuité du service public, que, par une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a élevée au rang de principe de valeur constitutionnelle.

Sur un plan normatif, la Constitution de 1958 n’a pas changé les données de la question puisqu’elle a repris le Préambule de 1946 et que le législateur persiste, sauf par quelques textes isolés, notamment la loi du 31 juillet 1963 qui interdit certaines modalités de la grève dans les services publics et la loi du 26 juillet 1979 qui réglemente la grève des agents de la radio et de la télévision, à ne pas légiférer sur la matière. Des dispositions législatives sont toutefois intervenues pour interdire le droit de grève à certaines catégories d’agents (militaires et magistrats par exemple).

Le juge administratif fait donc régulièrement application des principes toujours valables qu’il a dégagés dans sa décision Dehaene (pour un cas récent d’application, voir 30 novembre 1998, Mme R… et autres, n°183359, T.p.987). A cette occasion, et en tenant compte des contraintes et de l’importance du service public concerné, le juge vérifie que les limites apportées au droit de grève par les chefs de service sont proportionnées aux nécessités de la sauvegarde de l’ordre public. Si les chefs de services peuvent interdire le droit de grève à certains agents d’autorité ou prévoir un service minimum, ils ne sauraient prendre des mesures trop générales ayant pour effet de rendre l’exercice du droit de grève en pratique impossible.

7 juillet 1950 – Dehaene – Rec. Lebon p. 426