Les modernes Conseils de Prud’hommes se rattachent par leur origine aux juridictions corporatives de l’Ancien Régime. L’institution a un caractère paritaire depuis 1848. Des élus patronaux et des élus ouvriers y siègent côte à côte. Ce « particularisme » a, par la suite, été conservé jusqu’à nos jour et demeure le trait essentiel de l’institution. Les Conseils de Prud’hommes ne constituent pas seulement un legs du passée, mais leur maintien à l’époque moderne s’explique également par d’évidentes raisons pratiques. Les justiciables attendent des Conseils de Prud’hommes une plus grande compréhension technique de la part des juges issus du milieu professionnel lui-même, un nombre de conciliations plus élevé, un règlement plus rapide, une procédure plus simple et des frais de justice moins élevés que dans les tribunaux réguliers (W. Mac. Pherson, Les Conseils de Prud’hommes : une analyse de leur fonctionnement, Droit Social, 1962, P. 19).

I – ORGANISATION

Les Conseil de Prud’hommes est composé à égalité de conseillers salariés et de conseillers patrons. Les uns et autres sont élus pour une durée de six ans. Si le paritarisme aboutit à un « départiteur », le juge du tribunal d’instance. Le décret du 22 décembre 1958 prévoit la création de 4 sections correspondant aux professions industrielles, commerciales, agricoles et aux « professions diverses », c’est-à-dire à celles qui n’entrent pas dans les catégories précédentes. Ces sections constituent une véritable juridiction distincte et autonome. Le conseil ou ces sections élisent leur président et leur vice-président ; la présidence revient à tout de rôle aux patrons et aux salariés, le vice-président étant pris dans l’autre catégorie. Chaque conseil possède en outre un secrétaire-greffier dont le rôle, en tant que « conseiller technique » de juges prud’homaux souvent peu au courant des subtilités juridiques, est plus important qu’on ne pourrait le croire au premier abord.
Un Conseil de Prud’hommes n’existe que là où, compte tenu de la population salariale et des réclamations des milieux intéressés, un décret d’institution en a établi un. Selon le rapport présenté au Conseil économique, sur la réforme de la juridiction prud’homale (Avis du Conseil économique, 12 et 13 mai 1964, sur la réforme de la juridiction prud’homale, Liaisons sociales, n°56-64 du 20 mai 1964), il existe « environ » (sic) 243 conseil. On constate, dans l’ensemble, que l’implantation des Conseils de Prud’hommes et la liste des professions qui en ressortissent sont très anciennes. La grande majorité des conseils a été créée pendant la deuxième partie du XIXe siècle et le début du XXe. Une centaine de conseils ne comptent qu’une seule section : celle de l’industrie. Le rapport pris en considération par le Conseil économique et social, dans son avis du 13 mai 1964 sur la réforme de la juridiction prud’homale, tient pour acquis que plus d’un tiers des salariés sont exclus de la possibilité d’avoir recours à cette juridiction. Lorsqu’un Conseil de Prud’hommes n’a pas été institué ou lorsqu’un salarié, de par sa qualification professionnelle, ne peut se rattacher à aucune des sections prévues par le décret d’institution, c’est le tribunal d’instance, jugeant en matière prud’homale, qui sera compétent.
En ce qui concerne leur compétence, les Conseils de Prud’hommes, juridiction d’attribution, ne peuvent connaître que des litiges portant sur des matières qui leur sont expressément confiées par un texte de loi ; ils ne peuvent connaître des conflits collectifs, mais seulement des conflits individuels du travail. Depuis la réforme de 1958, les conseils sont appelés à statuer, quel que soit le montant de la demande, sur les litiges individuels entre employeurs et salariés, à l’occasion du contrat de travail ou du contrat d’apprentissage (Code du Travail, liv. IV, art.1). Les conseils sont également compétents pour les différends entre ouvriers à l’occasion du travail, encore que l’exercice de cette compétence soit rare. Les Conseils de Prud’hommes sont compétents en dernier ressort lorsque l’intérêt du litige ne dépasse pas 1 500 F ; ils ne sont compétents qu’à charge d’appel devant la cour d’appel au-dessus de ce chiffre. Le pourvoi en cassation est toujours possible contre la décision rendus par le conseil se dernier ressort ou contre la décision prise sur appel. Le droit commun procédural reprend ici ses droits, ce qui n’est pas sans causer de graves problèmes d’harmonisation et rend difficile, dans certains cas, l’application correcte du droit social.

II- FONCTIONNEMENT DES CONSEILS DES PRUD’HOMMES

Traditionnellement, les Conseils de Prud’hommes sont investis d’une double mission : de conciliation d’abord, devant un bureau de conciliation ; de jugement ensuite, en cas d’échec de la conciliation seulement, devant un bureau de jugement. La conciliation réussit environ dans le 1/3 des cas. En 1963, les conseils ont traité en conciliation plus de 55 000 affaires ; en jugement, plus de 35 000. En 1964, ces chiffres ont été respectivement de 58 800 et 36 600. La plupart des demandes salariales font suite à un licenciement et concernent le paiement de salaires, l’indemnité de congés payés, de délai-congé, de congédiement abusif, la remise d’un certificat de travail ou d’un bulletin de paye.
La liberté de poursuite devant un Conseil de Prud’hommes n’est que difficilement assurée : le travailleur, victime d’une injustice, n’ose pas porter son affaire devant le Conseil de crainte d’être immédiatement renvoyé par l’employeur. L’immense majorité des actions est intentée non par un salarié mais par un ex-salarié, contre son ancien employeur.

III- VERS UNE REFORME DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES ?

La réforme des Conseils de Prud’hommes est à l’ordre du jour. Des arguments divers d’inégale valeur ont été invoqués à l’appui de divers projets de réforme. On a fait valoir notamment que la part des usages professionnels présumées mieux connues des Prud’hommes que des magistrats de carrière a beaucoup diminué en droit du travail depuis le début du XIXe siècle, au profit de lois et règlements dont la connaissance est difficile pour les juges dépourvus de formation juridique (Rivero et Savatier, p. 153). L’observation est exacte, mais les inconvénients inhérents au défaut de connaissances juridiques suffisantes chez les conseillers peuvent, semble-t-il, être assez aisément pallié par un effort de formation accrue entrepris par les organisations syndicales. L’intervention du secrétaire du Conseil, véritable technicien du droit, évite déjà aux conseillers, dans la plupart des cas, de lourdes bévues juridiques. Un grief de partialité a également été formulé à l’encontre des jugements rendus par les Conseils des Prud’hommes, les conseillers salariés étant censé prendre systématiquement le parti des travailleurs demandeurs. Le chiffre dérisoire dans lequel le partage des voix a rendu nécessaire l’intervention du juge d’instance départiteur (1,2%) permet, dans la plupart des hypothèses, de tenir ce grief pour infondé. La décision du Conseil est-elle d’ailleurs critiquable, des recours sont ouverts à la partie lésée… (Pourvoi en cassation et appel devant la cour d’appel).
En réalité, l’institution a des lettres de noblesses qui ne tiennent pas toutes à son ancienneté. Ce n’est pas un mince mérite que de « traiter » plus de 90 000 affaires par an en réussissant à désamorcer par une conciliation de 1/3 environ des conflits. Si l’on ajoute que moins d’un quart des affaires dont le bureau de jugement a eu connaissance, vont en appel, où les décisions prud’homales sont confirmées dans la proportion de 80% (XX Congrès national de la Prud’homie française. Document Liaisons sociales, n°90-65 du 17 décembre 1965, p.5), le bilan apparaît nettement positif. Que l’institution ait pris des rides et qu’un bain de Jouvence lui soit nécessaire, ce n’est pas douteux, mais s’il est utile de conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire, comme a pu le dire un jour Portalis, lors des travaux préparatoires du Code civil, cette observation peut être repris à propos de la réforme des Conseils de Prud’hommes. Il serait en tout cas singulier qu’à une époque où le dépassement de la « question sociale » est recherché dans la voie de l’association du capital et du travail et du paritarisme, fut remise en cause une institution plus que centenaire qui a justement, sur une base paritaire, contribué à l’établissement de la justice sociale. Le débat est d’ailleurs d’importance, car c’est, pour une large part, de l’attitude adoptée par les tribunaux chargés du « contentieux social » que dépend l’avenir du droit du travail.