Le domaine de l’expulsion et de la reconduite à la frontière a tou-jours présenté un intérêt particulier pour les acteurs de la vie légis-lative. Le législateur, tout d’abord, n’a pas eu de cesse depuis près
de vingt ans de marquer de son empreinte l’ordonnance de 1945
relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en
France, au fur et à mesure des législatures. Eminemment liée au cli-mat politique et social d’une époque, ce texte particulièrement sen-sible en raison du domaine couvert a fait l’objet de plusieurs
réformes introduisant plus ou moins de souplesse dans le régime
applicable aux étrangers, réformes singulièrement identifiables par
la personnalité des ministres de l’Intérieur successifs qui ont laissé
leur nom aux lois modificatrices ( 1
). Le juge, ensuite, s’est vu pré-senter un volume important de contentieux relatif à l’application de
ce texte, que ce soit en matière d’expulsion comme de reconduite à
la frontière. Il ressort de la masse des arrêts rendus l’élaboration
d’une vraie jurisprudence, certainement évolutive, marquée tant
par l’interprétation des textes de droit national que par l’applica-tion de normes européenne (la Convention européenne de sauve-garde des droits de l’homme) et communautaire (la directive 64/221
du Conseil des ministres du 25 février 1964 relative à la coordina-tion des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement
et de séjour).
Dans ce domaine, apparaît une question présente dans de nom-breux domaines du contentieux administratif qui est celle de la qua-lification juridique des faits, et plus précisément du contrôle du juge
administratif sur cette qualification. La question est d’autant plus
vive, généralement, que le contentieux en question repose sur un
pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de décision,
ce qui est le cas du domaine de l’expulsion. Par ailleurs, les nou-velles règles de compétence des juridictions administratives issues
de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux et de
son décret d’application du 17 mars 1992 accroissent l’intérêt de ce
(1) Ainsi, nous partons de la loi « Bonnet » du 10 janvier 1980, à la loi « Ques-tiaux » du 29 octobre 1981, puis à la loi « Pasqua » du 9 septembre 1986 et « Joxe »
du 2 août 1989, pour enfin arriver à la loi « Chevènement » du 11 mai 1998.
sujet, dès lors que le Conseil d’Etat abandonne son rôle de juge de
l’excès de pouvoir pour endosser celui de juge de cassation.
En matière de libertés publiques, le contentieux de la reconduite
à la frontière a fait l’objet de plusieurs études doctrinales, dont cer-taines relativement récentes ( 2
). Le contentieux de l’expulsion n’a
pas, à notre connaissance, fait récemment l’objet d’une approche
spécifique, même s’il est souvent englobé dans les études sur la
reconduite à la frontière, comme sujet voisin issu d’une même
norme juridique. L’abondance de la jurisprudence de ces quatre der-nières années sur la question méritait cependant qu’il y soit porté
une attention particulière.
En matière de qualification juridique des faits, ce domaine pré-sente la particularité d’être l’objet des deux types de contrôles, res-treint et normal. A côté du contrôle de l’erreur manifeste d’appré-ciation, il existe tout un pan du contrôle de la qualification juridi-que des faits pour lesquels toute erreur sera sanctionnée par un
contrôle normal du juge. L’analyse de la jurisprudence permet de
préciser les contours du champ de chacun de ces contrôles, réservés
à des situations bien précises (I). Il est opportun dès lors de s’inter-roger sur les conséquences pratiques réelles de ces deux types de
contrôle, en particulier sur leur portée et leurs divergences puisque
la coexistence du contrôle normal et restreint les laisse a priori pré-sager. L’analyse de la jurisprudence révèle toutefois un résultat
nuancé (II).
I. — L’étendue du contrôle
L’étendue du contrôle du juge en matière de qualification juridi-que des faits
tient à une série de critères qui sont la procédure utili-sée pour l’expulsion et les motifs de celle-ci. En considération de ces
critères, l’analyse de quatre ans de jurisprudence permet de circons-crire la place réservée à l’erreur d’appréciation dans le contentieux
de l’expulsion.
480 Rev. trim. dr. h. (2000)
(2) Voy. par exemple R. d’Haëm, Le contrôle du juge administratif et le contentieux
de la reconduite à la frontière, Bilan de jurisprudence, Petites affiches , 17 novembre
1995, n o
138, pp. 4-12.
A. — Les critères déterminant l’étendue du contrôle
L’expulsion des étrangers du territoire national peut se réaliser,
aux termes de l’ordonnance de 1945 modifiée, au moyen de deux
procédures distinctes et sur la base de deux types de motifs. Du
point de vue procédural, l’article 24 de l’ordonnance décrit une pro-cédure dite « normale », de droit commun, qui garantit au mieux les
droits de l’étranger, contrairement à celle de l’article 26, alinéa 1 et
relatif à une procédure « d’urgence absolue », qui conduit à l’expul-sion de l’étranger sans qu’il bénéficie de la moindre garantie de pro-cédure. Il convient de préciser ici que nous entendons le mot « pro-cédure » au sens strict du terme, comme le déroulement d’une série
de règles de fond et de forme à respecter et qui conduisent au pro-noncé d’une décision. De ce point de vue, il n’y a, dans l’ordonnance
de 1945, que deux procédures : la procédure normale et la procédure
de l’urgence absolue.
Du point de vue des motifs, l’expulsion se justifie soit par un
comportement de l’étranger qui constitue une « menace grave pour
l’ordre public » ( 3
), soit parce que l’expulsion revêt le caractère
d’une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité
publique » ( 4
), soit parce qu’il y a urgence absolue. La nécessité
impérieuse à expulser, en ce qu’elle concerne des catégories d’étran-gers protégés, n’est pas, au véritable sens du terme, une procédure
mais un motif d’expulsion. Dans la jurisprudence, on trouve ainsi
ce motif d’expulsion associé tant à la procédure normale ( 5
) qu’à la
procédure de l’urgence absolue. C’est pourquoi nous distinguons ces
deux aspects de la question.
La procédure d’urgence absolue est indépendante des motifs de
l’expulsion. En particulier, il est acquis que l’expulsion en urgence
absolue est utilisable lorsqu’il y a nécessité impérieuse pour la
sûreté de l’Etat ou la sécurité publique. Mais elle peut aussi être uti-lisée lorsqu’il y a urgence absolue seule, sans considération de la
gravité de la menace à l’ordre public. Dans ce cas, l’urgence absolue
constitue un motif qui fonde le recours à cette procédure ( 6
).
L’étendue du contrôle du juge sur la qualification juridique des
faits ne dépend pas d’un seul de ces critères procéduraux ou de
Rev. trim. dr. h. (2000) 481
(3) Article 23 de l’ordonnance de 1945.
(4) Article 26 de l’ordonnance de 1945.
(5) Voy. notamment C.E, 27 avril 1998, M. Benchabanne, req. 165419.
(6) Voy. Dictionnaire permanent de droit des étrangers, Expulsion, notamment
points 37 et 74.
motifs. L’analyse de la jurisprudence révèle en fait une combinaison
de ces deux critères, dont le résultat conduit soit à un contrôle res-treint portant sur la seule erreur manifeste d’appréciation, soit à un
contrôle normal de la qualification juridique des faits. Quatre cas de
figure se présentent : un étranger peut ainsi être expulsé selon la
procédure normale soit pour menace grave à l’ordre public, soit
parce que son expulsion revêt les caractères d’une nécessité impé-rieuse pour la sûreté ou la sécurité de l’Etat. Ces deux premiers cas
de figure ont été examinés par la jurisprudence. Seul le second est
soumis au contrôle normal du juge, à raison du motif de nécessité
impérieuse qui est le seul à pouvoir être retenu contre les étrangers
dits protégés. Un étranger peut aussi être expulsé en urgence abso-lue, pour menace grave à l’ordre public ou pour nécessité impérieuse
à la sûreté ou à la sécurité de l’Etat. Seule la seconde hypothèse se
rencontre aujourd’hui en jurisprudence, et entraîne un contrôle nor-mal du juge sur la qualification juridique des faits. La première
demeure théorique, mais il semble possible néanmoins de dire que
si elle se présentait en pratique, elle ferait certainement l’objet, elle
aussi, d’un contrôle normal.
En effet, de la combinaison de ces deux critères — procédure/
motif — il ressort en réalité une approche synthétique qui met en
avant la règle de la « dérogation à un droit ». Cette règle, dégagée
en particulier par le commissaire du gouvernement Ronny Abraham
dans ses conclusions sous l’arrêt Ragusi ( 7
), impose au juge adminis-tratif d’étendre son contrôle chaque fois qu’il est « en présence d’une
décision qui comporte une dérogation à une règle ou à un principe
général, ou qui a pour effet de restreindre l’exercice d’un droit ou
d’une liberté » ( 8
). Tant du point de vue procédural (1) que de celui
des motifs de l’expulsion (2), l’on peut vérifier dans la jurisprudence
du Conseil d’Etat l’application de cette règle.
1. L’influence du critère procédural sur le contrôle du juge
C’est en réalité la seule procédure de l’urgence absolue qui
déclenche, sur la décision d’expulsion, le contrôle normal du juge en
matière de qualification juridique des faits. Relativement à l’éten-due de ce contrôle, le motif de l’expulsion est soit indifférent —
dans le cas de la menace grave à l’ordre public — soit constitue une
base supplémentaire au contrôle normal du juge s’il s’agit d’une
482 Rev. trim. dr. h. (2000)
(7) C.E, 24 octobre 1990, M. Alfredo Ragusi, req. 81333, et les conclusions de
Ronny Abraham, A.J.D.A , 20 avril 1991, Jurisprudence, pp. 322-325.
(8) Ronny Abraham, conclusions préc.Rev. trim. dr. h. (2000)
nécessité impérieuse. Mais en toute hypothèse, l’urgence absolue
suffit à elle seule à entraîner systématiquement un contrôle normal
sur la qualification juridique des faits.
Par rapport à la procédure normale de l’article 24 de l’ordon-nance, la procédure en urgence absolue présente des caractéristiques
relatives au contenu de la procédure elle-même, ou peut-être plus
justement à son absence de contenu : expulsé en urgence absolue,
l’étranger n’est pas préalablement informé qu’une mesure d’expul-sion est prise à son encontre et il ne comparaît pas devant la com-mission de séjour des étrangers qui n’est même pas réunie en son
absence. Le contrôle normal du juge sur qualification juridique des
faits se présente en quelque sorte comme un palliatif à l’absence de
toute garantie procédurale.
Antérieurement à la loi du 24 août 1993 portant modification de
l’ordonnance de 1945, l’article 26 de l’ordonnance attachait l’usage
de cette procédure au seul motif que l’expulsion devait constituer
une nécessité impérieuse pour la sûreté ou la sécurité de l’Etat et
protégeait par principe d’une telle procédure d’expulsion un certain
nombre d’étrangers, ainsi soumis à ce que l’on ne peut cependant
désigner comme un régime de faveur. Les étrangers visés à l’ar-ticle 25 de l’ordonnance ne pouvaient pas être expulsés en urgence
absolue, seule la procédure normale de l’article 23 pouvant être uti-lisée à leur encontre. La loi d’août 1993 apporte un changement par
rapport à la situation antérieure en dissociant le motif de la procé-dure utilisable : un étranger non-protégé peut désormais être
expulsé en urgence absolue, que sa présence sur le territoire national
constitue une menace grave à l’ordre public ou que son expulsion
revête les caractères d’une nécessité impérieuse. Ce n’est pas la gra-vité de la menace à l’ordre public qui compte mais l’existence d’une
urgence absolue à expulser. Cette règle étant posée, elle souffre une
exception qui concerne les étrangers protégés : en application de
cette même loi, l’expulsion en urgence absolue ne peut être utilisée
contre les étrangers protégés qu’à la seule condition qu’elle consti-tue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité
publique. L’expulsion en urgence absolue qui ne constituerait pas
une telle nécessité est, en ce qui concerne ces étrangers protégés, une
erreur de droit que le juge administratif sanctionne par l’annulation
de la décision d’expulsion.
En utilisant la procédure de l’urgence absolue, le ministre déroge
aux règles des articles 23 à 25 de l’ordonnance de 1945. Cette déro-gation entraîne systématiquement désormais un contrôle normal du
juge sur la qualification juridique des faits. Le juge vérifiera exacte-
ment que l’urgence absolue s’impose comme l’unique procédure uti-lisable eu égard aux faits qui justifient l’expulsion.
Si l’urgence absolue ne fait l’objet d’aucune définition dans l’or-donnance de 1945, il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat
l’utilisation d’un double critère nécessaire à la définir. Il s’agit d’une
part d’un critère temporel — la date de l’arrêté d’expulsion pris par
le ministre — et d’autre part d’un critère matériel — la gravité de
l’infraction —. Il ne ressort pas de l’analyse jurisprudentielle que
l’un de ces deux critères prévaut systématiquement sur l’autre. En
ce qui concerne ce second critère, la jurisprudence qui s’étend de
1994 à 1999, en dépit de la loi du 24 août 1993, fait état d’expulsion
en urgence absolue au motif de nécessité impérieuse pour la sûreté
et la sécurité de l’Etat. On ne trouve pas d’expulsion en urgence
absolue pour menace grave à l’ordre public. Le motif de l’expul-sion — la nécessité impérieuse pour la sûreté ou la sécurité de
l’Etat — semble toujours lié à cette procédure.
En ce qui concerne le critère temporel, la jurisprudence fait par-fois état de sa prévalence sur le critère matériel. Dans ces hypo-thèses, le juge administratif est particulièrement vigilant à la date
de l’arrêté d’expulsion pris par le ministre comme référence néces-saire à l’appréciation de l’urgence absolue. Ainsi, il annulera comme
ne revêtant pas le caractère d’urgence absolue l’arrêté d’expulsion
pris par le ministre de l’Intérieur quatre mois après la libération
d’un étranger maintenu cinq ans en détention pour infraction à la
législation sur les stupéfiants ( 9
), et a fortiori celui pris plus d’un an
après la libération d’un étranger condamné pour la même infrac-tion ( 10
). En revanche, est justifiée l’expulsion en urgence absolue
d’un étranger toujours en détention à la date de l’arrêté, mais dont
une libération anticipée est envisageable et qui s’est rendu coupable
à plusieurs reprises d’infractions avec coups et blessures dont une à
l’arme blanche ( 11
). Dans ce dernier arrêt, nous relèverons que l’ex-pulsion de l’étranger constituait une nécessité impérieuse pour la
sûreté ou la sécurité de l’Etat et qu’eu égard à la gravité des faits
reprochés, le Conseil d’Etat considère que le ministre de l’Intérieur
« a pu légalement estimer (…) que son expulsion présentait un carac-tère d’urgence absolue ». Il est difficile dans cette espèce de noter
une prévalence d’un critère sur l’autre, tant la combinaison est
forte. A l’inverse enfin, nous noterons une légère prévalence du cri-
tère matériel sur le critère temporel dans l’arrêt Boudiba du 27 avril
1998 ( 12
). Condamné à huit ans de réclusion criminelle pour coups
et blessures volontaires suite à deux agressions à main armée, le
Conseil d’Etat considère que, eu égard au comportement violent de
l’intéressé, le ministre de l’Intérieur « a pu légalement estimer que
l’expulsion de M. Boudiba constituait une nécessité impérieuse pour la
sécurité publique ». La circonstance selon laquelle l’arrêté d’expulsion
a été pris un mois après la sortie de prison de l’intéressé « n’est pas
à elle seule de nature à ôter à cette expulsion son caractère d’urgence
absolue ».
2. L’influence du critère matériel sur le contrôle du juge
Il s’agit à présent de déterminer l’influence du motif de l’expul-sion sur l’étendue du contrôle du juge. Ainsi que nous l’avons sou-ligné, deux motifs dans l’ordonnance de 1945 sont susceptibles de
conduire à la prise d’une mesure d’expulsion contre l’étranger : la
menace grave à l’ordre public (art. 23) et lorsque l’expulsion consti-tue une nécessité impérieuse pour la sûreté ou la sécurité de l’Etat
(art. 26). Examinons respectivement ces deux motifs.
a) La menace grave à l’ordre public
Elle résulte de la présence sur le territoire français de l’étranger.
L’expulsion ayant la nature d’une mesure de police destinée à proté-ger l’ordre et la sécurité publics ( 13
) et non pas celle d’une sanction,
elle a un caractère préventif et non répressif ( 14
). A défaut de toute
définition dans l’ordonnance, il convient de circonscrire cette notion
quant aux motifs de faits qui fonderont valablement l’expulsion et
qui feront l’objet d’un contrôle du juge.
Relativement à l’étendue du contrôle de la qualification juridi-que, la jurisprudence fait de la menace grave à l’ordre public le
domaine de la seule appréciation de l’erreur manifeste, dès lors que
l’on se situe dans la procédure normale des articles 23 et 24. Cer-tains auteurs considèrent que l’adjectif « grave » qui caractérise la
menace à l’ordre public invitait pourtant à un contrôle plus appro-Rev. trim. dr. h. (2000) 485
(12) C.E., 27 avril 1998, M. Boudiba , req. 157270.
(13) Voy. C.E, 20 janvier 1988, Ministre de l’Intérieur c. Elfenzi, Rec. p. 17 ;
A.J.D.A. , 1988, p. 223, concl. Vigouroux .
(14) Voy. Dictionnaire permanent de droit des étrangers, Expulsion, point 25.
fondi du juge sur la qualification juridique des faits ( 15
). Il ne s’agit
pas, en effet, de n’apprécier que la menace à l’ordre public ; encore
faut-il que celle-ci soit grave et tout dépend alors de ce qu’il faut
entendre par « menace grave ». La menace est-elle grave en ce que
le trouble à l’ordre public qui résulte de la présence de l’étranger sur
le territoire se réalisera probablement, ou la menace est-elle grave
parce que le trouble lui-même à l’ordre public sera grave ? ( 16
) Il res-sort de l’analyse de la jurisprudence que la notion de gravité de la
menace ( 17
) s’attache en réalité à la gravité du trouble qui risque de
se produire si l’étranger n’est pas expulsé. Or, force est de constater
que l’appréciation de cette gravité est subjective et éminemment
liée au climat social dans lequel s’inscrit la menace. Mais inverse-ment, l’on peut considérer que cet adjectif a, y compris dans le
champ de l’erreur manifeste, induit de lui-même un contrôle plus
approfondi du juge qui appréciera si manifestement, la menace est
grave ou non. Dans le cadre de l’erreur manifeste d’appréciation,
cette gravité devrait s’imposer comme une évidence, et l’on pourrait
transposer ici le raisonnement et les réflexions dégagés à propos de
l’erreur manifeste d’appréciation elle-même : la gravité serait
« apparente », « visible même du profane » ( 18
).
Cette démarche, cependant, n’est pas celle que retient le Conseil
d’Etat, qui s’attache généralement bien davantage à l’existence de
la seule menace à l’ordre public qu’à son caractère grave, en ce qui
concerne en tout cas le contrôle restreint de la qualification juridi-que des faits. Si l’on compare la jurisprudence établie sous l’empire
de l’ordonnance de 1945 dans sa version initiale ou telle que modi-fiée par la loi de 1986, et la jurisprudence postérieure à la loi de
1989 qui rétablit le caractère grave de la menace à l’ordre public,
il est bien difficile de mesurer entre les deux un degré différent d’ap-préciation, qui aurait conduit à ce que des faits constitutifs d’une
simple menace à l’ordre public ne puissent pas relever d’une menace
grave. Ainsi, nous constatons que les faits à l’origine de l’expulsion,
que la menace soit grave ou pas, sont dans les deux époques de la