{{ L’arret Jamart}}
Conseil d’Etat
statuant
au contentieux
N° 43321
Publié au Recueil Lebon

Section

M. Heilbronner, Rapporteur
M. Josse, Commissaire du gouvernement

Lecture du 7 février 1936

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire présentés par le sieur Jamart Charles-Emile, docteur en médecine, demeurant à Paris [6°] rue d’Assas n° 22, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au Secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat les 19 et 24 octobre 1934 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler une décision en date du 7 septembre 1934 par laquelle le Ministre des Pensions lui a interdit l’accès des centres de réforme ; Vu les lois des 31 mars 1919, 30 novembre 1892, 21 avril 1933 ; 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 ; le décret du 2 septembre 1919 ;
Considérant que si, même dans le cas où les ministres ne tiennent d’aucune disposition législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité, et s’ils peuvent notamment, dans la mesure où l’exige l’intérêt du service, interdire l’accès des locaux qui y sont affectés aux personnes dont la présence serait susceptible de troubler le fonctionnement régulier dudit service, ils ne sauraient cependant, sauf dans des conditions exceptionnelles, prononcer, par une décision nominative, une interdiction de cette nature contre les personnes qui sont appelées à pénétrer dans les locaux affectés au service pour l’exercice de leur profession ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que les lettres adressées par le sieur Jamart au ministre des Pensions, quel qu’ait été leur caractère regrettable, ne contenaient pas de menace précise de nature à troubler le fonctionnement du centre de réforme de Paris où le requérant, docteur en médecine, était appelé à pénétrer pour assister, en vertu de l’article 9 paragraphe 5 de la loi du 31 mars 1919, les anciens militaires bénéficiaires de ladite loi ; que, par suite, en lui interdisant, d’ailleurs sans limitation de durée, l’accès de tous les centres de réforme, le ministre des Pensions a excédé ses pouvoirs ;

DECIDE :

DECIDE : Article 1er : L’arrêté susvisé du Ministre des Pensions en date du 7 septembre 1934, est annulé. Article 2 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Pensions.

Analyse du Conseil d’Etat

Par l’arrêt Jamart, le Conseil d’État consacre l’existence d’un pouvoir réglementaire permettant aux ministres de prendre les mesures nécessaires à l’organisation de leurs services.

Le ministre des pensions, mécontent de l’attitude de M. Jamart, avait pris une mesure lui interdisant l’accès aux centres de réforme, où l’appelait l’exercice de ses fonctions. Sur le recours de l’intéressé, le Conseil d’État annula la mesure prise mais l’intérêt de l’arrêt réside dans le considérant de principe par lequel il jugea que « même dans le cas où les ministres ne tiennent d’aucune disposition législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité ».

Sous l’empire des lois constitutionnelles de 1875 comme sous l’empire de la Constitution de 1946 ou celle de 1958, les ministres ne sont pas investis du pouvoir réglementaire. Celui-ci est en effet attribué soit au chef de l’État (IIIe République), soit au chef du gouvernement (IVe République), soit, enfin, au chef du gouvernement sous réserve des prérogatives reconnues au chef de l’État (Vème République), les ministres n’étant appelés qu’à contre-signer les décrets pris par l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire. Ils ne disposent d’un pouvoir réglementaire que de façon exceptionnelle et en vertu d’une habilitation expresse soit de la loi soit d’un décret. Toutefois, l’arrêt Jamart leur attribue, en qualité de chef de service, un pouvoir réglementaire minimal dont ils disposent en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, celui de prendre les mesures nécessaires à l’organisation de leurs services.

Ce pouvoir réglementaire est enfermé dans des limites strictes, comme l’illustre l’arrêt Jamart lui-même. Il ne peut s’exercer, comme le rappelait dans ses conclusions M. Bernard « que dans la mesure où les nécessités du service l’exigent et envers les seules personnes qui se trouvent en relation avec le service, soit qu’elles y collaborent, soit qu’elles l’utilisent » (6 octobre 1961, UNAPEL , RDP 1961, p. 1279). Ainsi, le ministre ne peut notamment, par exemple, fixer des règles à caractère statutaire (Sect., 4 novembre 1977, Dame Si Moussa, p. 417). En revanche, il peut fixer les modalités d’organisation et de fonctionnement de ses services (voir, par ex., Sect., 29 décembre 1995, Synd. national des personnels de préfectures C.G.T. et F.O., p. 459), réglementer, sans porter atteinte aux dispositions à caractère statutaire, la situation de ses agents (voir, par ex., 10 janvier 1986, Fédération nationale des travailleurs de l’État C.G.T., p. 5), enfin, prendre des mesures réglementaires applicables aux usagers de ses services dès lors qu’elles sont nécessitées par le bon fonctionnement du service (voir, par ex., 8 février 1967, Synd. national de l’enseignement secondaire et Synd. national de l’enseignement technique, p. 880).

Tout chef de service dispose, dans les mêmes conditions, du pouvoir d’organiser son service. C’est le cas, par exemple, pour un maire (25 juin 1975, Riscarrat et Rouquairol , p. 898), pour un directeur d’établissements public (4 février 1976, Section syndicale C.F.D.T. du centre psychothérapeutique de Thuir, p. 970), d’un directeur des services de l’État (13 novembre 1992, Synd. national des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile et Union syndicale de l’aviation civile C.G.T., p. 966