Date de création : année universitaire 2003/04
Fiche à jour au 18 janvier 2010
Diplôme : Licence en droit, 3ème semestre
Matière : Droit administratif
Web-tuteur : Augustine MPESSA,
Mise à jour : Elise UNTERMAIER, Aurélie WATTECAMPS

Le principe de continuité du service public, « loi de Rolland », est
essentiel pour assurer le fonctionnement régulier des services sans
interruptions autres que celles prévues par la réglementation en vigueur
(attention, la continuité n’est pas la permanence). Après l’étude de ses
caractéristiques générales (I), nous envisagerons le principe de continuité
au regard de sa confrontation avec le droit de grève (II).
I. Les caractéristiques générales du principe de
continuité
A. La valeur du principe de continuité
Le principe de continuité du service public trouve son fondement dans un
principe plus large, celui de la continuité de l’Etat :
Article 5 de la Constitution du 1958
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure,
par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que
la continuité de l’Etat. »
Dans une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a
considéré que la continuité des services publics a le caractère d’un
principe à valeur constitutionnelle :
Cons. Cons., Décision n°79-105DC, 25 juillet 1979
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1979/79105dc.htm
« Loi modifiant les dispositions de la loi n 74-696 du 7 août 1974 relatives à
la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de
cessation concertée du travail
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de
cette ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
Considérant qu’aux termes du préambule de la Constitution du 27 octobre
1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : « le droit de
grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent  » ; qu’en édictant
cette disposition les constituants ont entendu marquer que le droit de grève
est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et ont
habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire
entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la
sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter
atteinte ; que, notamment en ce qui concerne les services publics, la
reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle
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au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en
vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de
grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ; que ces
limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents
dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des
éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins
essentiels du pays ;
Considérant que les dispositions contenues au paragraphe I de l’article 26 de
la loi du 7 août 1974, tel qu’il est modifié par la loi soumise à l’examen du
Conseil constitutionnel, se bornent à réglementer les conditions dans
lesquelles doit être déposé le préavis de grève ; que ce texte n’est contraire à
aucune disposition de la Constitution ni à aucun principe de valeur
constitutionnelle ;
Considérant qu’il en va de même des dispositions du paragraphe II du même
article qui, après avoir indiqué les conditions dans lesquelles doivent être
assurées la création, la transmission et l’émission des signaux de radio et de
télévision, prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités
d’application de ces conditions, conformément à la répartition des
compétences opérée entre le domaine de la loi et celui du règlement par les
articles 21, 34 et 37 de la Constitution ;
Considérant que si, dans ce même paragraphe II de l’article unique de la loi,
le législateur fait usage du terme « requérir », s’agissant des appels qui peuvent
être éventuellement adressés aux catégories de personnels dont le concours
peut être indispensable pour l’exécution de la mission ci-dessus rappelée des
sociétés de programme et de l’établissement public de diffusion, il résulte
clairement des débats parlementaires et des déclarations faites à cette
occasion par le ministre de la culture et de la communication qu’en usant de
ce terme la loi ne se réfère pas au droit de réquisition tel qu’il résulte de
l’ordonnance du 6 janvier 1959 et des autres textes qui régissent ce droit ; que
le paragraphe II ne peut donc, de ce fait, être entaché de non conformité à la
Constitution ;
Mais, Considérant qu’en prévoyant dans la première phrase du paragraphe III
de la loi que : « lorsque les personnels des sociétés nationales de programme
de télévision sont en nombre insuffisant pour assurer le service normal, le
président de chaque société peut, si la situation l’exige, requérir les catégories
de personnels ou les agents qui doivent demeurer en fonctions pour assurer la
continuité des éléments du service nécessaires à l’accomplissement des
missions définies aux articles 1er et 10 », le législateur permet aux présidents
des sociétés, lorsqu’une cessation concertée du travail empêche l’exécution
du service normal et afin de garantir que soit cependant assurée la généralité
des missions dont il assigne l’accomplissement à ces sociétés, de faire
obstacle à l’exercice du droit de grève dans des cas où son interdiction
n’apparaît pas justifiée au regard des principes de valeur constitutionnelle cidessus
rappelés ; que, dès lors, les dispositions contenues dans cette phrase
doivent être regardées comme non conformes à ces principes en tant qu’elles
font référence, d’une part, à l’exécution d’un service normal, d’autre part à
l’accomplissement des missions définies aux articles 1er et 10 de la loi du 7
août 1974 ;
Considérant en conséquence que les termes suivants du paragraphe III de
l’article 26 de la loi du 7 août 1974, tel qu’il est modifié par l’article unique de
la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel : « pour assurer le service
normal » et « nécessaires à l’accomplissement des missions définies aux
articles 1er et 10 » doivent être regardés comme ayant été adoptés en
méconnaissance de ces principes ;
Considérant qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni les débats
auxquels l’examen de la proposition de loi a donné lieu devant le Parlement
que lesdites dispositions soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi
déférée au Conseil constitutionnel »
Le Conseil d’Etat l’a qualifié de « principe fondamental » :
C.E., 13 juin 1980, Mme Bonjean
(…) Considérant, en premier lieu, que par délibération en date du 18 octobre
1975, le Conseil de l’Université scientifique et médicale de Grenoble a
décidé, pour des motifs tirés de l’insuffisance des dotations attribuées à cette
Université que les enseignements seraient suspendus dans cet établissement à
partir du 29 octobre 1975 ; que devant cette violation du principe
fondamental de la continuité du service public, le recteur de l’académie de
Grenoble, chancelier de cette Université a, le 29 octobre 1975, fait connaître
à tous les membres du personnel enseignant qu’ils étaient tenus de remplir
intégralement leurs obligations de service et que « les services non assurés
…entraîneront la retenue normale du salaire ;
Que par suite, la requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à se
prévaloir utilement de la délibération précitée pour soutenir qu’elle ne
pouvait subir des retenues sur sa rémunération en raison de l’inexécution de
son service d’enseignement. ; (…)
B. Les corollaires du principe de continuité
La continuité du service public trouve des corollaires dans des principes
du droit administratif, tels que la théorie des circonstances
exceptionnelles (1) et le principe de l’inaliénabilité du domaine public
(2).
1-La théorie des circonstances exceptionnelles
Par l’arrêt Heyriès, le Conseil d’État admet qu’en période de crise, voire
en période de guerre, la puissance publique dispose de pouvoirs
exceptionnellement étendus afin d’assurer la continuité des services
publics :
C.E., 28 juin 1978, Heyriès
« Vu la requête présentée par le sieur Heyriès, ex-dessinateur civil de 2ème
classe du génie militaire, demeurant à Nice, ladite requête enregistrée au
Secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 5 juin 1917, et tendant à ce
qu’il plaise au Conseil annuler la décision en date du 22 octobre 1916, par
laquelle le ministre de la Guerre l’a révoqué de ses fonctions ; Vu le décret du
10 septembre 1914 ; le décret du 16 septembre 1914 ; Vu la loi
constitutionnelle du 25 février 1875, article 3 ;
Considérant que, pour demander l’annulation, pour excès de pouvoir, de la
décision, en date du 22 octobre 1916, qui l’a révoqué de son emploi de
dessinateur de deuxième classe du génie, le sieur Heyriès soutient, d’une part,
qu’il avait droit à la communication des pièces de son dossier, en vertu de
l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, dont l’application n’a pu être suspendue
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par le décret du 10 septembre 1914 ; d’autre part, que, en tous cas, les
formalités prévues au décret du 16 septembre 1914 n’ont pas été observées ;
Sur le premier point : Considérant que, par l’article 3 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875, le Président de la République est placé à
la tête de l’Administration française et chargé d’assurer l’exécution des lois ;
qu’il lui incombe, dès lors, de veiller à ce qu’à toute époque les services
publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, et à
ce que les difficultés résultant de la guerre n’en paralysent pas la marche ;
qu’il lui appartenait, à la date du 10 septembre 1914, à laquelle est intervenu
le décret dont la légalité est contestée, d’apprécier que la communication,
prescrite par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, à tout fonctionnaire de son
dossier préalablement à toute sanction disciplinaire, était, pendant la période
des hostilités, de nature à empêcher dans un grand nombre de cas l’action
disciplinaire de s’exercer et d’entraver le fonctionnement des diverses
administrations nécessaires à la vie nationale. Qu’à raison des conditions
dans lesquelles s’exerçaient, en fait, à cette époque, les pouvoirs publics, il
avait la mission d’édicter lui-même les mesures indispensables pour
l’exécution des services publics placés sous son autorité ;
Considérant, qu’en décidant, par le décret pris à la date sus-indiquée, que
l’application de l’article 65 serait suspendue provisoirement pendant la durée
de la guerre, avec faculté pour les intéressés de se pourvoir après la cessation
des hostilités en révision des décisions qui auraient été ainsi prises à leur
égard, le Président de la République n’a fait qu’user légalement des pouvoirs
qu’il tient de l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, et
qu’ainsi, la décision du ministre de la Guerre, rendue conformément aux
dispositions dudit décret, n’est pas entachée d’excès de pouvoir ;
Sur le deuxième point : Considérant qu’il résulte de l’instruction que la
décision attaquée a été rendue sur le vu d’un rapport du chef du génie de
Nice, et à la suite d’un interrogatoire auquel a été soumis le sieur Heyriès et
au cours duquel il lui était loisible de provoquer tout éclaircissement sur les
griefs relevés contre lui, et de produire ses explications et ses moyens de
défense ; qu’ainsi, il a été satisfait aux prescriptions du décret du 16
septembre 1914 ; »
Commentaire de l’arrêt Heyriès :
http://www.conseil-etat.fr/ce/jurisp/index_ju_la12.shtml
Au nom de la continuité des services publics, la théorie des circonstances
exceptionnelles autorise ainsi la puissance publique à s’affranchir :
– des règles de compétence : le pouvoir réglementaire peut agir en
matière législative lorsque l’urgence l’impose et que le législateur ne
peut se réunir (Heyriès supra; C.E. Ass., 16 avril 1948, Laugier) ; le
fonctionnaire qui est le mieux à même d’agir efficacement est habilité à
le faire (C.E., 1er août 1919, Sté des établissements Saupiquet) et en cas
de carence de l’autorité administrative, de simples particuliers peuvent la
suppléer en prenant les mesures exigées par les circonstances, jouant
ainsi le rôle de « fonctionnaires de fait » (C.E., 5 mars 1948, Marion) ;
– des règles habituelles de forme (C.E., Sect., 10 novembre 1944,
Auvray) ;
– du respect de principes de fond, auxquels son action est normalement
strictement subordonnée : liberté de circulation (C.E., 28 février 1919,
Dames Dol et Laurent et C.E., 18 mai 1983, Rodes), droit de propriété
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(Marion supra), liberté individuelle (C.E. Ass. 7 novembre 1947, Alexis
et Wolff).
2- Le principe de l’inaliénabilité du domaine public
Le principe de continuité des services publics interdit d’aliéner les biens
utilisés par le service public dans les conditions qui le mettrait en cause :
Cons.Cons., Décision n°94-346 DC, 21 juillet 1994
« 3- Considérant d’une part qu’il importe au législateur lorsqu’il
modifie les dispositions relatives au domaine public de ne pas priver des
garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de
l’existence et de la continuité des services publics auxquels il est affecté
4- Considérant d’autre part que les dispositions de l’article 17 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen relative au droit de
propriété et à la protection qui lui est due ne concerne pas seulement la
propriété privée des particuliers, mais aussi à un titre égal, la propriété de
l’Etat et des autres personnes publiques ; qu’elle font obstacle à ce que le
domaine public puisse être durablement grevé de droits réels sans
contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine comme
aux missions de service public auxquels il est affecté ; qu’il revient au
législateur d’y veiller, dès lors qu’il est compétent, en vertu de l’art 34 de la
Constitution, pour fixer les règles concernant les transferts de propriété
d’entreprises du secteur public au secteur privé ainsi que pour déterminer les
principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels ».
Le juge vérifie ainsi que le législateur ait « garanti le respect, en temps
normal, des exigences constitutionnelles qui s’attachent à la continuité
du service public » :
Cons.Cons., décision n° 2005-513, 14 avril 2005, loi
relative aux aéroports
Sur la méconnaissance du principe de continuité du service public:
2.Considérant qu’en vertu du troisième alinéa de l’article L.251-2 du code de
l’aviation civile, dans sa rédaction issue de l’article 6 de la loi déférée: «Un
cahier des charges approuvé par décret en Conseil d’Etat fixe les conditions
dans lesquelles la société Aéroports de Paris assure les services publics liés à
l’exploitation des aérodromes mentionnés au premier alinéa et exécute, sous
l’autorité des titulaires du pouvoir de police, les missions de police
administrative qui lui incombent ;
3. Considérant que, selon les requérants, ni cet article, ni aucune autre
disposition du titre Ier de la loi déférée ne prévoient les garanties nécessaires
au «respect des exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de
la continuité des services publics»; qu’ils estiment, en particulier, que les
biens déclassés et remis en pleine propriété à Aéroports de Paris en vertu de
la loi déférée auraient dû être «soumis à un régime particulier permettant de
garantir la continuité du service public»; qu’ils font valoir que l’autorité
administrative doit être en mesure «de reprendre sans délai la maîtrise directe
de l’exploitation des aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et de Paris-
Orly» si l’exigent «des motifs d’intérêt général tels que les nécessités de la
défense nationale ou de la vie économique du pays»;
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4. Considérant que le déclassement d’un bien appartenant au domaine public
ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences
constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services
publics auxquels il reste affecté;
5. Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 2, 5 et 6 de la loi
déférée que la majorité du capital de la société Aéroports de Paris sera
détenue par l’Etat; qu’après avoir défini les missions de cette société, le
législateur a précisé qu’un cahier des charges fixera les conditions dans
lesquelles elle assurera les services publics liés aux aérodromes qu’elle
exploite et exécutera les missions de police administrative qui lui incombent;
que ce cahier des charges définira également les modalités par lesquelles
l’Etat contrôlera le respect tant des obligations liées aux missions de service
public que des contrats par lesquels l’exécution de ces missions serait confiée
à des tiers; que ce document, qui devra être approuvé par décret en Conseil
d’Etat,déterminera aussi les sanctions administratives susceptibles d’être
infligées à la société en cas de manquement à ses obligations; qu’enfin, la loi
déférée permet à l’Etat de s’opposer à toute forme d’aliénation d’un ouvrage
ou d’un terrain nécessaire à la société Aéroports de Paris pour la bonne
exécution ou le développement de ses missions de service public; que le
législateur a ainsi garanti le respect, en temps normal, des exigences
constitutionnelles qui s’attachent à la continuité du service public;
6.Considérant, en outre, qu’en cas de circonstances exceptionnelles, les
autorités compétentes de l’Etat pourront, en tant que de besoin, procéder,
dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative ou en vertu des
dispositions du code de la défense, à toute réquisition de personnes, de biens
et de services;
7. Considérant, dès lors, que le principe de continuité du service public n’est
pas méconnu par l’article 6 de la loi déférée;
II. La continuité du service public et l’exercice du
droit de grève
Le principe de la continuité du service public s’opposait au droit de
grève jusqu’à ce que celui-ci fut reconnu (A). Il demeure néanmoins
limité (B).
A. La reconnaissance du droit de grève
Jusqu’en 1946, le principe de continuité des services publics a été un
obstacle absolu à la grève dans les services publics. Puis le préambule de
la Constitution de 1946 a reconnu le droit de grève des agents des
services publics :
Alinéa 7 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le
réglementent »
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Le droit de grève devient ainsi un principe à valeur constitutionnelle.
Afin de concilier le droit de grève dans la fonction publique et la
continuité du service public, le Conseil constitutionnel a élevé le principe
de continuité au niveau où se trouve le droit de grève :
Cons.Cons., décision n°79-105DC, 25 juill. 1979
« Considérant qu’aux termes du préambule de la Constitution du 27 octobre
1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : « le droit de
grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent  » ; qu’en édictant
cette disposition les constituants ont entendu marquer que le droit de grève
est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et ont
habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire
entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la
sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter
atteinte ; que, notamment en ce qui concerne les services publics, la
reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire
obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations
nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout
comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur
constitutionnelle ; que ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du
droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le
fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte
aux besoins essentiels du pays »
B. Les limites du droit de grève
Le législateur a travaillé à concilier le principe de continuité et le droit de
grève en faisant en sorte que l’exercice du droit de grève soit limité par
les exigences de la continuité.
Ainsi, certaines catégories de personnels se sont vues retirer leur droit de
grève. C’est le cas notamment des Compagnies républicaines de sécurité
(CRS) par une loi de 1947, des personnels de police (loi de 1948), des
magistrats en vertu d’une ordonnance de 1958, des agents occupant des
emplois indispensables au fonctionnement normal des services de
sécurité aérienne (voir CE, 26 octobre 1960, Syndicat général de la
navigation aérienne)…
Faute d’une intervention législative, le Conseil d’Etat a admis qu’il fallait
reconnaître que le droit de grève n’était pas illicite mais que, dans
l’attente des lois le réglementant, le gouvernement pouvait en limiter son
exercice si l’ordre public l’exigeait :
C.E., 7 Juill. 1950, Dehaene
Requête du sieur Dehaene (Charles), chef de bureau à la préfecture d’Indreet-
Loire, tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté du préfet
d’Indre-et-Loire en date du 13 juillet 1948 le suspendant de ses fonctions et
d’un arrêté du préfet d’Indre et Loire en date du 30 juillet 1948 lui infligeant
un blâme ;
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Vu la Constitution de la République française; les lois du 19 octobre 1946,
du 27 décembre 1947 et du 28 septembre 1948 ; l’ordonnance du 31 juillet
1945 ;
En ce qui concerne la mesure de suspension :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la mesure de suspension
dont le sieur Dehaene a été frappé le 13 juillet 1948 a été rapportée le 20
juillet 1948, antérieurement à l’introduction du pourvoi ; qu’ainsi la requête
est, sur ce point, sans objet ;
En ce qui concerne le blâme :
Cons. que le sieur Dehaene soutient que cette sanction a été prise en
méconnaissance du droit de grève reconnu par la Constitution ;
Cons. qu’en indiquant, dans le préambule de la Constitution, que «le droit de
grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent», l’Assemblée
Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation
nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue
l’une des modalités, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être
de nature à porter atteinte ;
Cons. que les lois des 27 décembre 1947 et 28 septembre 1948, qui se sont
bornées à soumettre les personnels des compagnies républicaines de sécurité
et de la police à un statut spécial et à les priver, en cas de cessation concertée
du service, des garanties disciplinaires, ne sauraient être regardées, à elles
seules, comme constituant, en ce qui concerne les services publics, la
réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution ;
Cons. qu’en l’absence de cette réglementation, la reconnaissance du
droit de grève ne saurait avoir pour conséquence, d’exclure les
limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en
vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre
public ; qu’en l’état actuel de la législation, il appartient au
gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics,
de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces
services, la nature et l’étendue desdites limitations ;
Cons. qu’une grève qui, quel qu’en soit le motif, aurait pour effet de
compromettre dans ses attributions essentielles l’exercice de la fonction
préfectorale porterait une atteinte grave à l’ordre public ; que dès lors le
gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des
chefs de bureau de préfecture à 1a grève de juillet 1948 ;
Cons. qu’il est constant que le sieur Dehaene, chef de bureau à la préfecture
d’Indre-et-Loire, a, nonobstant cette interdiction, fait grève du 13 au 20 juillet
1948; qu’il résulte de ce qui précède que cette attitude, si elle a été inspirée
par un souci de solidarité, n’en a pas moins constitué une faute de nature à
justifier une sanction disciplinaire; qu’ainsi le requérant n’est pas fondé à
soutenir qu’en lui infligeant un blâme le préfet d’Indre-et-Loire a excédé ses
pouvoirs ;… (Rejet).
Pour un commentaire de cet arrêt, voir http://www.conseiletat.
fr/ce/jurisp/index_ju_la32.shtml
Ainsi la grève des agents publics est en principe licite mais seulement
pour « la défense d’intérêts professionnels ». Même lorsqu’elle est licite,
le gouvernement peut la limiter « en vue d’en éviter un usage abusif ou
contraire aux nécessités de l’ordre public » et ce « en l’état actuel de la
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législation ». Autrement dit, cette compétence revêt un caractère
supplétif par rapport au législateur.
Afin de concilier le droit de grève et le principe de continuité du service
public, la loi impose l’instauration d’un service minimum dans certains
secteurs : la radio-télévision, le nucléaire, la navigation aérienne et la
santé. En revanche, le principe de continuité du service public n’exige
pas la mise en place d’un service minimum à la RATP (C.E., 8 mars
2006, Onesto et autres).