a. Problème de terminologie

Plusieurs auteurs voudraient bien parler en effet, d’indemnisation sans faute plutôt que de la responsabilité sans faute. KALONGO MBIKAYI qui nous semble se rallier à cette conception écrit justement que « l’indemnisation ne recouvre nullement l’entier domaine de la responsabilité même si parfois les deux institutions empruntent les mêmes voies ». « Réparer » un dommage, dit-il, c’est le faire disparaître dans la personne de celui qui l’a subi. En « répondre », c’est avouer et racheter une culpabilité. Tout le monde peut réparer et la société s’en charge volontiers. Seul, au contraire, l’auteur d’une faute peut véritablement en « répondre », c’est-à-dire assumer sa sanction. Plutôt que de l’avènement d’une « responsabilité sans faute » c’est donc celui d’une « indemnisation sans faute » qu’il aurait fallu parler38(*).

Et même si nous gardons encore l’expression « responsabilité sans faute » nous visons beaucoup plus le phénomène de la réparation de la victime sans nous préoccuper de l’idée de faute. Ceci, voyons en quels termes s’explique l’origine de la responsabilité sans faute de la puissance publique.

b. Origine

Longtemps, il paru suffisant de fonder la responsabilité de l’auteur d’un dommage sur la faute commise par lui. A la victime, il appartenait donc, pour obtenir réparation du dommage qu’elle a subi, de prouver la faute de l’auteur du dommage, conformément au droit commun de la preuve.

Cette théorie de la faute était devenue impuissante à expliquer la responsabilité, et particulièrement celle de l’Etat pour des dommages professionnels. Ceux-ci n’ont cessé de se multiplier depuis le début du

19e Siècle par suite du développement plus grand des services publics et de l’ingérence sans cesse accrue de l’Etat et des collectivités secondaires dans la vie privée.

Cette intervention généralisée de l’Etat dans presque tous les secteurs était devenue génératrice de dommages d’autant plus fréquents et lourds imposés par les moyens puissants qu’ils mettaient et continue à mettre en oeuvre. Ce qui a poussé le droit positif, dans le but de renforcer la sécurité juridique des administrés, à imposer une nouvelle réflexion sur le fondement de la responsabilité parce que la notion traditionnelle de faute ne permettait plus d’expliquer toutes les solutions.

c. Fondement de la responsabilité sans faute

Plusieurs théories ont été avancées pour fonder la responsabilité sans faute et notamment deux théories pour fonder celle de l’Etat.

Avant de les énumérer, voyons en terme d’idées les pensées des auteurs sur l’indemnisation fondée sur le risque.

1° L’indemnisation fondée sur l’idée du risque

C’est aux premiers auteurs qui se sont intéressés à la recherche de règles juridiques assez larges pour aider les victimes, que l’on doit l’idée de risque. Ayant observé la variété et l’intensité des risques qui sont venus menacer la personne humaine et son patrimoine à la suite des transformations économiques du 19e siècle, ils ont tout naturellement pris pour objet principal et central de leurs études ces risques : leur origine et leurs effets. Ils se sont efforcés de préciser dans quelles circonstances leur création pouvait être une source autonome de responsabilité : d’où la fortune de l’idée de risque, idée nouvelle, proposée comme pouvant et devant soit remplacer, soit compléter la notion de faute, notion traditionnelle, impuissante désormais à satisfaire les besoins sociaux.

SALEILLES et JOSSERAND, les premiers théoriciens en la matière, n’hésitèrent pas de déformer par leurs interprétations les textes actuels de la responsabilité. SALEILLES proposait une définition nouvelle de la faute, voulant la trouver dans tout « acte générateur de risques ».

Quant à JOSSERAND, il prétendait déduire de l’article 1384 (art. 260 du CCCLIII), paragraphe premier un principe général de responsabilité obligeant l’homme qui se sert d’une chose quelconque à réparer les dommages dans la production des quels celle-ci serait intervenue.

Ces deux doctrines aboutissaient en définitive, à substituer à la notion de faute un principe de responsabilité plus large, celui du risque39(*). Mais en réalité il y eut plusieurs théories du risque dont le seul dénominateur commun était la recherche de solutions favorables aux victimes en dehors de toute idée de faute.

2° Différentes théories avancées

1. La théorie du risque ou risque profit,

C’est la théorie selon laquelle, celui qui, à l’occasion d’une activité dont il tire profit crée un risque de dommages, doit, si ce risque se réalise, répondre du dommage causé, car il ne saurait retenir les profits de son active sans en assurer les charges40(*).

D’après les critères du professeur KALONGO MBIKAYI, cette idée était juste et morale, mais, à elle seule, insuffisante. Elle ne valait en effet que dans les cas où certaines personnes subissaient des dommages en exécutant un travail qui profitait à autrui, généralement dans le cadre d’une entreprise ou d’une industrie.

Le législateur, d’après toujours lui, s’est inspiré de cette idée pour instituer certains cas de responsabilité sans faute dont on peut trouver l’exemple le plus significatif dans le régime de réparation des accidents de travail instauré jadis en France par la loi du 9 avril 1898 et en Belgique par la loi du 24 décembre 190341(*).

Mais en dehors de ces cas réglementés par la loi, le problème de réparation des dommages causés sans faute a subsisté. D’où l’élaboration d’une autre théorie du risque, celle du risque créé.

2. Les risque créé

M. SAVATIER qui défend cette tendance précise que « la responsabilité fondée sur le risque consiste dans l’obligation de réparer des faits dommageables produits par une activité qui s’exerce dans notre intérêt.

Cet intérêt, dit-il, n’est pas d’ailleurs nécessairement un bénéfice pécuniaire. On est responsable également des forces que l’on utilise dans un intérêt moral »42(*).

Selon cette deuxième théorie du risque, « tout fait de l’homme, toute activité est source de répartition des dommages causés à autrui par cette activité. La constatation d’une faute est inutile.

A son tour cette théorie n’a pas échappé à la critique. On lui oppose d’abord une objection d’ordre économique.

Mettre à la charge de l’individu les risques qu’il crée le mal social causé par l’absence de répartition de certains accidents, en provoquer un plus grave et plus général, en entravant tout essor économique et tout progrès. De peur d’engager sa responsabilité l’homme se détournerait en effet de toute action et serait condamné à l’inertie.

D’autre part cette théorie n’est pas satisfaisante non plus sur le plan moral. On fait observer que la condamnation fondée sur la faute a une valeur sociale et morale que ne possède pas la condamnation fondée sur le risque. La société, dit-on, accepte facilement la condamnation pour faute car elle tolère qu’on réprime les activités nuisibles à la bonne harmonie d’une société donnée, alors qu’elle peut même se révolter de voir qu’on condamne quelqu’un simplement pour les risques de son activité43(*).

3. La théorie électrique

Une théorie plus complexe a été proposée. D’après elle, la responsabilité civile s’alimente à deux sources : la faute et le risque. Mais la faiblesse de cette théorie réside dans le fait qu’il n’a pas été possible de préciser les champs d’application respectifs de ces deux sources. Et d’ailleurs si l’on reconnaît au risque le rôle d’une source autonome de responsabilité même en concurrence avec la faute, on se heurte malgré tout, aux mêmes objections que celles que rencontre la théorie du risque généralisé44(*).

4. La rupture de l’égalité devant les charges publiques

Cela arrive lorsque l’on constate que l’action de l’Administration, entreprise dans l’intérêt général, cause un dommage à une personne ou à un petit nombre de personne. Ainsi, dans l’intérêt général, certaines personnes ont subi un préjudice que le reste de la population n’a pas subi.

L’équité à elle seule suffit à expliquer que soit autant que possible compensé le sacrifice ainsi imposé à un citoyen ou à un groupe des citoyens dans l’intérêt général45(*).

* 38 KALONGO MBIKAYI, Op.cit, p.127.

* 39 KALONGO MBIKAYI , Op.cit,p.128

* 40 J.RIVERO et J.WALINE, Op. cit, p.405

* 41 KALONGO MBIKAYI, Op. cit, p.129

* 42 R. SAVATIER, Les règles générales de la responsabilité civile, in Rev. crit. 1934, n°29 ; note de KALONGO MBIKAYI, Op. cit, p.129.

* 43 KALONGO MBIKAYI, Op.cit, p.130

* 44 Ibidem

* 45 M.A.FLAMME, Op.cit, p1285.