Le régime du permis de conduire a été institué en 1899, afin de limiter l’usage des véhicules à des personnes en mesure de les contrôler et avertis des règles à respecter (A). De nombreuses règles viennent compléter ce dispositif préventif pour sécuriser la circulation automobile, règles provenant à la fois du Code de la route et de la réglementation par les autorités locales (B).

A- Le permis de conduire

Le permis de conduire se définit juridiquement comme une autorisation accordée par l’autorité de police administrative14(*) à son titulaire de conduire certains types de véhicules à moteurs sur la voie publique. L’existence même de ce permis comme les conditions de sa suspension ou de son retrait participent donc de la police de la rue, entendue ici au sens large.

1- Le système du permis de conduire

Les conducteurs de véhicules motorisés sur la voie publique doivent être en possession d’un permis de conduire, un permis circonscrit à une catégorie de véhicules. Ce permis a été instauré en France sous le nom de « certificat de capacité » par un décret du 10 mars 1899 pris par le Président de la République ; actuellement délivré par le ministre des Transports, qui intervient dans le cadre d’une compétence liée après avis favorable d’un inspecteur du permis de conduire et de la sécurité routière, il illustre la technique juridique de l’autorisation administrative préalable.

Il s’agit donc d’un mécanisme qui peut sembler restrictif de la liberté d’aller et venir ; cependant, l’institution d’un tel permis se révèle nécessaire pour assurer la sécurité de tous les usagers de la voie publique. L’exemple français semble être à notre avis, très édifiant en matière. En effet, la loi du 10 juillet 1989 relative à diverses dispositions en matière de sécurité routière et en matière de contravention15(*), codifiée aux articles L 223-1 à L 223-8 du Code de la route, et complétée par les décrets du 25 juin 1992 et du 23 novembre 199216(*), a institué un permis à points. Tout permis de conduire se voit créditer de six points pendant un délai probatoire de 3 ans à compter de sa date d’obtention17(*), puis de douze points, chaque infraction commise entraînant la perte d’un certain nombre de points, selon un barème préétabli. A titre d’exemple, le délit de fuite entraîne la perte de six points. Lorsque la totalité de crédit de points est épuisé, le permis perd sa validité et doit être remis au préfet.

En revanche, de nombreux garde-fous sont mis en place afin d’éviter tout arbitraire dans l’attribution et le retrait des points du permis : ainsi, il existe un système de reconstruction totale ou partielle du nombre de points initial ; et la perte des points n’est pas laissée à la discrétion des officiers ou agents de police : elle ne peut intervenir qu’à la suite d’une condamnation judiciaire devenue définitive du conducteur, ou en conséquence du paiement par celui-ci d’une amende forfaitaire.

En Côte en d’Ivoire, la reforme du permis de conduire qui connaîtra sa phase active qu’avec l’arrivé du Dr Albert MABRI TOUAKEUSE en avril 2007 avait vraisemblablement des objectifs économiques. Sur les cinq (5) objectifs de cette reforme18(*), seulement deux (2) d’entre eux traitent de la sécurité routière. Ce qui à notre avis parait très insuffisant vu que de nombreuses personnes meurent chaque années sur nos routes. L’Etat gagnerait à s’inspirer du modèle français pour non seulement responsabiliser nos automobilistes mais et surtout pour limiter considérablement le nombre d’accident sur nos routes.

2- La suspension du permis de conduire

Le retrait du permis de conduire peut aujourd’hui prendre plusieurs formes : l’annulation19(*), la suspension ou l’invalidation20(*). Juridiquement, il s’agit soit d’une rétention administrative du permis de conduire, suite à la commission d’une infraction particulièrement grave, soit l’obligation de restituer son permis de conduire, de manière provisoire, suite à une suspension ou de manière définitive, en cas d’annulation du permis de conduire. Mais dans la pratique, le retrait du permis consiste en une interdiction de conduire pour un temps déterminé ou indéterminé.

Aux termes de l’article 134 du Code de la route, la « suspension, le retrait provisoire ou le retrait définitif du permis de conduire…est prononcé par le ministre chargé des Transports après avis d’une commission technique spéciale ».

Selon le juge administratif, ces mesures de suspension du permis relèvent de la police administrative21(*), et ne constituent pas des sanctions administratives ; elles échappent ainsi à l’application des dispositions de l’article 6 § 1 de la CESDH garantissant le droit à un procès équitable22(*). Cependant, le risque d’arbitraire reste ténu dans la mesure où le juge administratif exerce sur ces mesures un contrôle normal, comme en témoigne l’arrêt Lerquemain du Conseil d’Etat du 5 mai 197623(*).

B- Les règles de circulation sur la voie publique

Les règles régissant la circulation des véhicules à moteur sur la voie publique sont très nombreuses et variées. Selon l’article 74 de la Charte municipale du 17 octobre 1980, le maire a la police des routes à l’intérieur du périmètre communal dans la limite des règlements en matière de circulation routière ; il doit surtout prendre toutes « les mesures nécessaires pour concilier, à tout moment et en tous lieux, les exigences de la circulation »24(*).

1- Les obligations imposées par la loi et règlements

Les conducteurs, outre l’obligation de posséder un permis de conduire, doivent donc être en possession d’un certificat d’immatriculation (plus couramment appelé « carte grise ») ; ils doivent apposer des plaques d’immatriculation afin de faciliter une éventuelle identification ; ils doivent régulièrement se soumettre à un contrôle technique ; ils doivent souscrire à une police d’assurance.

L’obligation du port de ceinture de sécurité, et du casque pour les motards, a eu quant à elle beaucoup de difficultés à être acceptée par la masse des conducteurs. En effet, cette obligation renvoie à la question de savoir dans quelle mesure l’Etat est fondé à protéger l’individu contre le mauvais usage de sa liberté25(*).

On doit toujours garder à l’esprit que ce sont deux valeurs qui sont en opposition dans ce débat : la liberté de disposer de soi, qui est le fondement de la souveraineté de l’individu sur lui-même, et la protection de la dignité de la personne humaine, qui a été déterminé comme le fondement de la limitation de la souveraineté de l’individu sur lui-même par la jurisprudence. La liberté de disposer de soi résulte de l’article 4 de la DDHC de 1789 qui définit la liberté comme la faculté de « faire ce qui ne nuit pas à autrui » ; dès lors que cet article ne mentionne que les nuisances à autrui, il semblerait que l’Etat ne puisse intervenir afin de protéger les individus contre les nuisances qu’ils pourraient s’infliger du fait d’un mauvais usage de sa liberté.

Le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat ont alors développé la notion de protection de la dignité de la personne humaine afin d’admettre des limitations aux libertés en vue de la protection de la personne elle-même. Ainsi dans l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge en 1995, le Conseil d’Etat admet que la protection de la dignité humaine justifie l’interdiction faite à une personne naine d’utiliser son handicap pour gagner sa vie (activité du « lancer du nain »), malgré son consentement, restreignant ainsi sa liberté de disposer de lui-même26(*). On se trouve ainsi face à des « cas difficiles »27(*), c’est-à-dire mettant en conflit deux valeurs fondamentales.

En toute hypothèse, instituée par un décret du 28 juin 197328(*), cette obligation de se protéger contre les risques inhérents à la circulation routière a été controversée, certains la considérant comme une atteinte injustifiée à la liberté individuelle. Le conseil d’Etat et la Cour de cassation ont pourtant jugé cette obligation légalement instituée, car elle a pour objectif de réduire les conséquences des accidents de la route29(*).

2- Les mesures prises par l’autorité de police locale

Le maire dispose de pouvoirs de police très étendus pour réglementer la circulation dans sa commune. Il a ainsi le pouvoir d’interdire l’accès à certaines rues, à certains types de véhicules, notamment lorsque l’étroitesse de la voie ne permet pas le passage de tous les véhicules ; il peut prohiber toute circulation automobile sur certains axes seulement.

Parmi les prérogatives les plus importantes dont dispose le maire, il y a la possibilité pour cette autorité administrative de réglementer la vitesse de la circulation, à condition toutefois de ne pas prévoir une vitesse maximale supérieure à celle en agglomération prévue par le code la route, ce qui est de 50 km/h ; il peut en revanche prévoir une limitation plus sévère30(*), et créer par exemple des « zones 30 ».

Ces restrictions de vitesse doivent néanmoins être justifiées par des considérations tirées du maintien de l’ordre public ; toutefois, à côté de ces préoccupations, la limitation peut prendre en compte d’autres considérations : ainsi le Conseil d’Etat a pu admettre que le gouvernement restreigne la vitesse de la circulation dans le but de réaliser des économies de carburant, tout en ayant pour but premier la sécurité routière31(*).

Enfin, le maire a la possibilité de créer des voies réservées ; revenant sur une jurisprudence de la Cour de cassation du 25 octobre 1961 qui interdisait que les emplacements de la voie publique soient réservés à certains usagers, le législateur a en effet autorisé les exécutifs locaux à instituer des discriminations entre ces usagers, sous certaines limites.

La légalité de ce type de mesures est subordonnée au maintien de la possibilité pour les commerçants établis sur ces voies de la possibilité de recevoir des livraisons grâce à des emplacements réservés à cet effet ; le maire peut également décider de mettre certaines parties de la voie publique en zone piétonne à des jours et des heures définies, afin que puisse se tenir un marché par exemple. Enfin, les voies peuvent être temporairement réservées à certaines catégories d’usagers, en général pour des manifestations sportives telles que le Tour de France, qui bénéficie d’une « privatisation » totale de la voie publique.

Ainsi, l’on vient de voir que la réglementation de la circulation s’agissant des véhicules à moteur en mouvement est pour le moins scrupuleuse, et affecte très largement la liberté d’aller et de venir, dans un but d’assurer la sécurité publique. Les autorités de police administrative peuvent également prendre des mesures s’agissant des véhicules en stationnement ; mais le stationnement semblant être le corollaire du droit de circuler sur la voie publique, ces mesures ne doivent pas y porter une atteinte « manifestement excessive ».

* 14LIVET (P.), L’autorisation administrative et les libertés, LGDJ, Paris, 1974, p. 58.

* 15 Loi n°89-469 du 10 juillet 1989 relative à diverses dispositions en matière de sécurité routière et en matière de contravention, JO du 11 juillet 1989, p. 8676.

* 16 Décret n°92-559 du 25 juin 1992 pris en application des articles L.11 à L.11-6 du code de la route, JO du 28 juin 1992, et décret n°92-1228 du 23 novembre 1992 modifiant les articles R.225 à R.257 du code de la route, JO du 24 novembre 1992.


* 17 Loi n°2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, JO du 13 juin 2003.

* 18 La réforme répond aux dysfonctionnements constatés dans le système de délivrance du permis de conduire. Sa mise en oeuvre vise les objectifs suivants : lutter contre la fraude sur la délivrance du permis ivoirien ; acquérir une base de données fiable et sécurisées ; sécuriser les recettes de L’Etat par la vente de papier timbré ; contribuer à l’amélioration de la sécurité routière ; lutter contre la pauvreté et professionnaliser les auto-écoles à travers le Fonds de Développement des Transport.

[L’information est disponible sur www. Gouv.ci/dossier_permis_de_conduire.php ; consulté le 2 septembre 2009]

* 19 On parle d’annulation judiciaire du permis de conduire à la suite d’une infraction grave au Code de la route, le juge peut prononcer une annulation du permis de conduire. Cette annulation peut être «automatique », c’est le cas par exemple en France où pour une récidive de conduite sous l’emprise d’un état alcoolique (supérieur à 0,4mg/l dans l’air expiré). En présence de ce délit, l’annulation est prononcée de plein droit. Pour retrouver le droit de conduire après une annulation du permis de conduire, l’automobiliste devra repasser les épreuves du permis de conduire.

* 20 L’invalidation du permis de conduire découle de la perte de l’ensemble des points attachés au permis de conduire. Lorsque le solde de points atteint 0, l’automobiliste reçoit un courrier l’informant de la perte de validité de son permis et portant injonction de le restituer aux services préfectoraux.

* 21 Conseil d’Etat, 18 décembre 1991, Pelardy, Rec., p. 675 ; Conseil d’Etat, 19 mars 2003, Leclère, req. n° 191271.

* 22 L’article 6 § 1 de la CESDH garantit le droit à un procès équitable, c’est-à-dire respectant la procédure contradictoire, et permettant l’effectivité de l’accès et du recours devant un tribunal ; le droit à être jugé dans un « délai raisonnable » ; le droit à un tribunal indépendant et impartial ; et enfin le droit à la publicité du procès. Le champ d’application de ces droits est toutefois limité aux litiges relatifs à des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil », et à ceux relatifs au « bien-fondé de toute accusation en matière pénale ». En vertu du principe d’interprétation autonome des notions contenues dans la CESDH, la qualification d’une procédure interne comme touchant à des « contestations sur des droits et obligations de caractère civil » ou au « bien-fondé de toute accusation en matière pénale » est indépendante des éventuelles qualifications données en droit interne. La CEDH considère que tous les droits patrimoniaux constituent des « droits et obligations de caractère civil » ; s’agissant des litiges relatifs aux fonctionnaires, la cour emploie un critère fonctionnel depuis l’arrêt Pellegrin contre France du 8 décembre 1999, fondé sur la nature des fonctions et responsabilités de l’agent, qui ne doivent pas être en rapport avec l’utilisation de la puissance publique pour « la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publique ». S’agissant des « accusations en matière pénale », n’importe quelle mesure afflictive est susceptible d’en constituer une, la cour utilisant principalement un critère fondé sur la gravité de la sanction ; elle a ainsi jugé que même une sanction administrative pouvait correspondre à une «accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 dans un arrêt Öztürk du 21 février 1984.

* 23 Conseil d’Etat, 5 mai 1976, Lerquemain, Rec., p. 229, concl. Guillaume ; voir aussi Conseil d’Etat, 9 novembre 1992, Couetoux, RFDA 1993, p. 142, concl. Legal.

* 24 Conseil d’Etat, Ass., 23 mars 1973, Association Les droits du piéton, Rec., p. 245.

* 25 MBONGO (P.), Les « cas difficiles » en matière de libertés fondamentales, Cours de droit constitutionnel, Master 2 Droit Public Fondamentale, Poitiers, 2005.

* 26 DWORKIN (R.), Prendre les droits au sérieux, PUF, Paris, 1977, trad. fr., p. 349 et s ; LOSCHAK (D.), Les bornes de la liberté, Pouvoirs, Pouvoirs, n°84, 1998 ; HENNETTE-VAUCHEZ (S.), Kant contre Jéhovah ? Refus de soin et dignité de la personne humaine, Recueil Dalloz, 16 décembre 2004, p. 3154-3160 ; LEVINET (M.), Dignité contre dignité. L’épilogue de l’affaire du « lancer de nain » devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, Revue trimestrielle des droits de l’homme, juillet 2003, p. 1017-1042.

* 27 C’est ainsi que peuvent être définis les refus de soins médicaux pour motif religieux, qui posent la question de savoir si des médecins peuvent laisser mourir une personne témoin de Jéhovah qui aurait refusé toute transfusion sanguine en raison de ses croyances religieuses alors même qu’une telle transfusion lui sauverait la vie.

* 28 Décret n°73-561 du 28 juin 1973 sur le remplacement des articles R10-1 (limitation de vitesse), R53-1 (port du casque), R53-2 (interdictions temporaires de circuler), R186 (dispositions applicables aux conducteurs de motocyclettes), JO du 29 juin 1973, p. 6966.

* 29 Conseil d’Etat, 4 juillet 1975, Bouvet de la Maisonneuve, Rec., p. 330 ; Cour de cassation, crim., 20 mars 1980, D. 1984 IR., p. 521.

* 30 L’article 219 du Code de la route stiple que : « Les dispositions du présent décret ne font pas obstacles au droit, conféré par les lois et règlements aux préfets et aux maires, de prescrire dans les limites de leurs pouvoirs, et lorsque l’intérêt de la sécurité ou de l’ordre public l’exige, des mesures plus rigoureuses que celles édictés par le présent décret. »

* 31 Conseil d’Etat, 25 juillet 1975, Chaigneau, Rec., p. 436.