La réglementation -qu’elle soit administrative ou non- de la fouille des véhicules sur la voie publique implique autant la liberté d’aller et venir que le droit à la vie privée. Deux situations seront toutefois examinées : l’une relative à la fouille des véhicules en période normale (A) puis l’autre, relative aux périodes troubles ou de crises (B) ; ce sera également l’occasion de se pencher sur la position du Conseil constitutionnel quant à la conformité de la fouille des véhicules à la Constitution (C)

A- La fouille des véhicules exercée en période normale

On distingue deux types de fouilles de véhicules : les fouilles de police judiciaire et les fouilles de véhicules de police administrative. Leur étude conjointe se justifie par le fait qu’une fouille de police administrative, peut dans certains cas, se muer en fouille de police judiciaire.

1- Les fouilles de police administrative

On entend par « fouilles de police administrative » celles des fouilles de véhicules qui ont pour but de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens. Si en France, les fouilles de véhicules ont fait l’objet d’une codification à travers la loi pour la sécurité intérieure en 2003, ici en Côte d’Ivoire, les Forces de l’Ordre chargés de la Sécurité Publique disposent de large pouvoir en la matière.

L’article premier de la loi du 3 octobre 1996 relative aux perquisitions en matière de lutte contre la criminalité dispose en effet que : « Dans le cadre de la lutte contre la criminalité, et sur autorisation expresse de l’autorité judiciaire ou administrative, les Forces de l’Ordre chargés de la Sécurité Publique peuvent à tout heure de jour ou de nuit, effectuer des fouilles corporelles ou des véhicules… lorsqu’il existe des indices d’infractions .»

Ce qui apparait pour le moins excessif, vu que cette loi ne donne aucune précision quant aux « indices » qui sont laissées à l’appréciation de l’agent et encore plus curieux, ne précise pas la durée d’immobilisation du véhicules lors de ce type d’intervention.

Le Conseil constitutionnel français invalida une loi similaire qui autorisait la fouille des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales aux officiers de police judicaire ou sur ordre de ceux-ci, à tout véhicule « se trouvant sur une voie ouverte à la circulation publique et que cette visite ait lieu en la présence du propriétaire ou du conducteur »; la raison invoquée par la Conseil constitutionnel français est « qu’en raison de l’étendu des pouvoirs, dont la nature n’est, par ailleurs, par définie, conférés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs pourraient s’exercer et de l’imprécision de la portée des contrôles auxquels ils seraient susceptibles de donner lieu, ce texte porte atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle »43(*).

La légalisation générale de ces fouilles n’intervient que beaucoup plus tard, grâce à la loi Vaillant, adoptée suite aux attentats contre le World Trade Center du 11 septembre 2001, et insérant un article 78-2-2 dans le Code de procédure pénale44(*). Cette loi n’étant applicable que jusqu’au 31 décembre 2003, la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, dite loi Sarkozy, pérennisa les fouilles des véhicules et compléta le dispositif.

2- Les fouilles de police judiciaire

Les fouilles police judiciaire peuvent être ordonnées par les personnes qui ont la qualité d’officiers de police judicaire45(*) (les procureurs de la Républiques et leurs substituts, les officiers de police, les officiers de gendarmeries..).

Ces fouilles peuvent avoir pour but de rechercher et de poursuivre des infractions concernant la législation sur les armes, la législation sur les stupéfiants, certains vols ou certaines contrefaçons (articles 392 et 319 du Code pénal). Depuis la loi du 3 octobre 1996 en matière de lutte contre la criminalité. Elles peuvent également intervenir lorsqu’il existe à l’égard du conducteur d’un véhicule ou d’un passager une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant.

B- La fouille des véhicules pratiquée en périodes troubles

Par « période trouble » nous faisons allusion aux circonstances exceptionnelles qui ont pour effet de soustraire l’administration au respect de la légalité. Elles mettent la légalité en « vacance » et lui substituent une légalité d’exception, une légalité de crise46(*). Ces circonstances exceptionnelles, organisées par des textes particuliers47(*), ont été étendues à d’autres domaines par le juge, qui a construit une véritable théorie des circonstances exceptionnelles48(*).

Déjà qu’en période normale nos Forces de l’Ordre chargés de la Sécurité publique disposent d’un large pouvoir d’appréciation des véhicules devant faire l’objet d’une fouille ; en périodes troubles, comme ce fut le cas en septembre 2002, la fouille devint systématique pour tous les véhicules en provenance des zones dites « sous contrôle de la rébellion ».

Autre fait intéressant, ce sont les véhicules de type «4X4 » communément appelés « Tout terrain ». Véhicules ayant mauvaise presse car particulièrement utilisés par les « rebelles » pour le transport de troupes où d’armes, étaient également visés par cette mesure qui concernait aussi bien ceux provenant des zones sous contrôle de la rébellion que ceux en circulation dans la ville d’Abidjan. Et c’est sans compter les véhicules de transport en commun ou de marchandise où la moindre suspicion (trois ou plusieurs hommes dans un véhicule, les vitres légèrement teintées, quelques cartons dans le coffre arrière…) donnait lieu à des fouilles corporelles ou de véhicules.

C- La conformité des fouilles de véhicules à la Constitution

Le conseil constitutionnel, saisi des dispositions relatives aux fouilles des véhicules de la loi pour la sécurité intérieure, notamment ses articles 11 à 1349(*), les a déclarées conforme à la Constitution, dans sa décision du 13 mars 2003 sur la loi pour la sécurité intérieure50(*).

Le conseil constitutionnel, après avoir rappelé la nécessité de la conciliation entre ces libertés d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infraction d’autre part, considère que les dispositions en cause n’étaient pas contraires aux principes et libertés invoqués par les requérants. En somme, le conseil considéra que le législateur n’avait pas commis d’incompétence législative susceptible d’être jugée contraire à l’article 34 de la Constitution.

* 43 Conseil constitutionnel, DC 76-75, 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales, JO du 13 janvier 1977, p. 344.

* 44 Article 78-2-2 du Code de procédure pénale : « Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme visés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, des infractions en matière d’armes et d’explosifs visées par les articles L. 2339-8, L. 2339-9 et L. 2353-4 du code de la défense, des infractions de vol visées par les articles 311-3 à 311-11 du code pénal, de recel visées par les articles 321-1 et 321-2 du même code ou des faits de trafic de stupéfiants visés par les articles 222-34 à 22-38 dudit code, les officiers de police judicaire, assistés, le cas échéants, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1°ter de l’article 21 peuvent, dans les lieux et pour la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décisions expresse et motivée selon la même procédure, procéder non seulement aux contrôles d’identité prévus au sixième alinéa 78-2 mais aussi à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique.

Pour l’application des dispositions du présent article, les véhicules en circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement nécessaire au déroulement de la visite qui doit avoir lieu en présence du conducteur, lorsqu’elle porte sur un véhicule à l’arrêt ou en stationnement, la visite se déroule en présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut, d’une personne requise à cet effet par l’officier ou l’agent de police judiciaire et qui ne relève pas de son autorité administrative. La présence d’une personne extérieure n’est toutefois pas requise si la visite comporte des risques graves pour la sécurité des personnes et des biens. En cas de découverte d’une infraction ou si le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ainsi que le cas où la visite se déroule en leur absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures du début et de la fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre est transmis sans délai au procureur de la République. Toutefois, la visite des véhicules spécialement aménagés à l’usage d’habitation et effectivement utilisés comme résidence ne peut être faite que conformément aux dispositions relatives aux perquisitions et visites domiciliaires. »

* 45 Article 16 du Code de procédure pénale

* 46 DEGNI-SEGUI (R.), Droit administratif général : l’action administrative, Tome 2, 3ème édition, Abidjan, CEDA, avril 2003, p. 340.

* 47 Les textes organisant les circonstances exceptionnelles sont tantôt constitutionnels, l’état de crise de l’article 48 de la Constitution, tantôt législatifs et concernent l’état d’urgence et d’autres mesures de police.

* 48 Inspirées de l’Etat de siège, ces circonstances ont également pour effet de soustraire l’administration au respect de la légalité. C’est ce qu’indique clairement le Conseil d’Etat en ces termes : « dans certaines circonstances exceptionnelles, les autorités administratives peuvent prendre des mesures dépassant le cercle de leurs attributions normales, en vue de pourvoir d’extrême urgence aux nécessité du moment » (Conseil d’Etat 6 août 1916, Demotte, Rec., p. 215 ; voir également Conseil d’Etat, 28 juin, Heyries, GAJA 33)

* 49 Les auteurs de la saisine faisaient valoir que ces dispositions de la loi portaient atteinte au droit au respect de la vie privée, a l’inviolabilité du domicile, à la liberté d’aller et venir et à la liberté individuelle. Les requérants reprochaient à l’article 11 de la loi, lequel insérait un nouvel article 78-2-2 dans le Code de procédure pénale (fouilles de véhicules aux fins de recherche et de poursuite des infractions concernant le terrorisme, la législation sur les armes, la législation sur les stupéfiants, certains vols ou recels), d’établir une liste excessive d’infractions permettant les fouilles de véhicules. Ils soutenaient en outre que les termes de l’article n’étaient pas assez clairs et précis, ce qui pouvait permettre, par le biais d’une interprétation large du texte, d’autoriser de façons extensive les fouilles de véhicules. Aux articles 12 et 13, les auteurs de la saisine leur reprochaient leurs termes vagues, et surtout un faible rôle accordé à l’autorité judiciaire pendant le déroulement de la procédure.

* 50 Conseil constitutionnel, DC 2003-467 du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, JO du 19 mars 2003, p. 4789. Cette décision a été abondamment commentée, voir notamment : Dalloz, 2004 (18), pp. 1273-1274, note Séverine Nicot ; Revue française de droit constitutionnel, 2003 (56), pp. 760-764, note Olivier Lecucq ; Revue française de droit constitutionnel, 2003 (55), pp. 573-579, note Richard Ghévontian ; Les petites affiches, 18 septembre 2003 (187), pp. 6-13, note Michel Verpeaux et Bertrand Mathieu.