C.E., 7 août 1909, Winkell
(Rec., p. 826)
(Req. n° 37.317 – MM. Baudenet, rapp. ; Tardieu, c. du g. ; Mes Hannotin, Frénoy et Regray, av.)
Vu la requête du sieur Winkell, conducteur de perforeuses aux ateliers des postes et télégraphes…, tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir un arrêté du sous-secrétaire d’Etat des postes et télégraphes, en date du 15 mai 1909, portant qu’il est révoqué à partir du 13 du même mois ;
Ce faire, attendu que la mesure dont le requérant a été l’objet a été prise sans qu’il ait reçu communication de son dossier, contrairement à l’art. 65 de la loi du 22 avr. 1905, auquel le décret du 18 mars 1909 ne pouvait opporter une dérogation ;
Vu les observations du ministre des Travaux publics, des Postes et des Télégraphes…, tendant au rejet du pourvoi, par les motifs qu’en se mettant en grève et en abandonnant ainsi ses fonctions, le requérant a rompu le lien qui l’attachait à l’Administration et perdu de plein droit par ce fait sa situation de fonctionnaire, et en même temps la garantie instituée par l’art. 65 de la loi du 22 avr. 1905 qui y était attachée ; que pour qu’il se démit de ses fonctions, il n’était pas besoin d’un acte exprès ; qu’en réalité et quels qu’en soient les termes, l’arrêté attaqué n’a fait que constater un fait accompli et prendre acte de la renonciation que le requérant avait faite de ses fonctions ; qu’en tout cas le fonctionnaire qui se met en grève et par le fait duquel il n’y a plus de services ne peut plus se prévaloir des garanties qui sont corrélatives à l’exécution du service; que d’ailleurs la communication du dossier eût été sans intérêt, le motif de la mesure prise, la participation à la grève, étant notoire et publique; et qu’enfin le requérant n’a pas réclamé la communication de son dossier, bien qu’il eût été suffisamment mis en demeure de la demander soit par l’avertissement résultant des termes du décret du 18 mars 1909, soit par celui qui résultait des déclarations faites à la Chambre des députés par le ministre des Postes et Télégraphes ;
Vu le mémoire en réplique présenté pour le sieur Winkell…, par lequel le requérant déclare persister dans ses précédentes conclusions, par les motifs : que l’art. 65 de la loi du 22 avr. 1905 est conçu en termes généraux et ne contient aucune restriction et que les garanties qu’il accorde ne sont pas la contrepartie de l’exécution du service, que le requérant ne peut pas être considéré comme démissionnaire la démission ne produisant d’effet que si elle a été acceptée et que sa participation à la grève n’a pu avoir pour effet de rompre de plein droit le lien qui l’attachait à l’administration et par suite de le priver du bénéfice de l’art. 65 précité ; qu’en admettant qu’il existe une sorte de contrat entre le fonctionnaire et l’Administration, les règles qui le régissent se trouvent dans les textes spéciaux à chaque catégorie de fonctionnaires et que, dès lors, le refus de service ne peut avoir d’autre conséquence que l’application des peines disciplinaires prévues par ces textes ; que d’après ceux qui sont applicables aux agents des postes, les peines disciplinaires, pour produire effet, doivent avoir été prononcées ; que le décret du 18 mars 1909, prévoit formellement qu’en cas de refus collectif ou concerté de service, le ministre ou le sous-secrétaire d’Etat, suivant les cas peut prononcer sans intervention du conseil de discipline les peines du 2e et du 3e degré, au nombre desquelles est la révocation ; qu’il suit de là que le fait de grève ne rompt pas le lien existant entre le fonctionnaire et l’Administration et que celle-ci l’a entendu ainsi jusqu’ici ; qu’en effet elle a notamment repris une partie des grévistes sans qu’il soit l’objet d’une nouvelle nomination et notifié au requérant qu’il était révoqué par application du décret du 18 mars 1909 ; que le requérant avait intérêt à recevoir communication de son dossier afin de contrôler l’exactitude des faits à lui reprochés ; qu’enfin ni le décret du 18 mars 1909, ni les déclarations faites à la tribune de la Chambre des députés ne constituent des mises en demeure suffisantes de réclamer cette communication ;
Vu la loi du 22 avr. 1905, art. 65 ; les décrets des 23 avr. 1883, 9 nov. 1901, 9 juin 1906, 18 mars 1909 ; et la loi du 24 mai 1872 ;
*1* Considérant que la grève, si elle est un fait pouvant se produire légalement au cours de l’exécution d’un contrat de travail réglé par les dispositions du droit privé, est, au contraire, lorsqu’elle résulte d’un refus de service concerté entre des fonctionnaires, un acte illicite, alors même qu’il ne pourrait être réprimé par l’application de la loi pénale ; que, par son acceptation de l’emploi qui lui a été conféré, le fonctionnaire s’est soumis à toutes les obligations dérivant des nécessités mêmes du service public et a renoncé à toutes facultés incompatibles avec une continuité essentielle à la vie nationale ; qu’en se mettant, en grève les agents préposés au service public, sous quelque dénomination que ce soit, ne commettent pas seulement une faute individuelle, mais qu’ils se placent eux-mêmes, par un acte collectif, en dehors de l’application des lois et règlements édictés dans le but de garantir l’exercice des droits résultant pour chacun d’eux du contrat de droit public qui les lie à l’Administration ; que, dans le cas d’abandon collectif ou concerté du service public, l’Administration est tenue de prendre des mesures d’urgence et de procéder à des remplacements immédiats ;
*2* Cons. que le sieur Winkell ne conteste pas qu’il était au nombre des ouvriers du service des postes qui étaient en grève au mois de mai 1909 et que, pour demander l’annulation de l’arrêté par lequel le sous-secrétaire d’Etat a prononcé sa révocation, il se borne à alléguer que cette mesure a été prise sans qu’il ait reçu préalablement la communication de son dossier, en conformité de l’art. 65 de la loi du 22 avr. 1905 ;
*3* Mais cons. qu’il résulte de ce qui précède que, quelle que soit la généralité de cet article, le législateur n’a pu comprendre la grève dans un service public au nombre des cas en vue desquels il a formulé cette prescription ;… (rejet).