Le mot police est polysémique (qui a plusieurs sens). Dans la Grèce antique, il signifie à la fois ville, cité, mais aussi réunion de citoyens, Etat libre, démocratie. Sous l’ancien régime français, il se dilue jusqu’à devenir synonyme d’administration, de réglementation : la police du royaume, les intendants de police, de justice et des finances. Même dans la langue contemporaine, cette polysémie persiste. Le vocable désigne à la fois une activité et un service. En d’autres termes, il recouvre un sens matériel et un sens organique.

– Au sens organique, la police désigne l’ensemble des personnels chargés de cette activité et qui constitue le service public de la police.
Au sens matériel, la police est l’ensemble de mesures prises pour assurer l’ordre public qui est constitué par une plate forme minimale de conditions essentielles à une vie sociale normale. Son contenu varie avec l’état des croyances sociales. La police intègre :

– la sécurité et la commodité de passage dans les voies publiques ;

– le maintien du bon ordre dans les rassemblements ;

– les mesures de lutte contre les accidents et fléaux calamiteux ;

– la prévention des atteintes à la tranquillité publique.

L’ordre public n’est pas ni le « conformisme politique » ni « la raison d’Etat ». Bien au contraire, le pluralisme politique, base de la conception moderne de la démocratie, s’oppose à ce que l’administration puisse par des techniques de police générale, interdire des réunions ou la vente des journaux sur la voie publique, au seul motif que les inspirateurs (partis politiques, ou groupements privés) auraient une conception différente de l’Etat. Jacques Moreau affirme à juste titre que l’ordre à promouvoir n’est pas celui d’une presse muselée, le calme des rues désertes où patrouillent les tanks, c’est un résultat obtenu par le jeu de processus juridiques qui doivent, autant que possible prendre en compte la liberté des individus et des groupes dont l’activité quotidienne constitue le tissu de la vie démocratique.

Dans un système juridique comme le Cameroun,si la période de consolidation de l’Etat plaçait l’autorité avant la liberté, l’on s’avise petit à petit que les rapports d’autorité, les structures de pouvoir, les relations de chacun avec l’Etat se modifient. Pont aux ânes des facultés de droit, la sempiternelle définition de l’Etat comme « une population, un territoire et un gouvernement » respire le placard et le moisi, amenant Jean François Revel2 à dire que l’ « Etat », loin d’avoir acquis une vigueur gigantiste se trouve de plus en plus désobéi et contesté par ceux qui en attendent tout ».Le principal conseiller économique du Président Carter, Charles Schultze écrivait à propos de l’Etat : « il y a dix ans c’est l’Etat qui résolvait tous les problèmes, aujourd’hui, pour de très nombreuses personnes, le problème c’est l’Etat lui-même »3. Denis Olivennes a qualifié cette nouvelle donne de l’Etat, l’impuissance publique.

Trois évidences s’imposent aujourd’hui :
la première est que « la collectivité que nous devons servir, ce n’est pas l’Etat, mais la nation, c’est-à-dire le groupe d’hommes et de femmes que l’histoire a rassemblés par vagues successives sur notre sol »4.
La seconde commande de se libérer des enseignements traditionnels pour proposer une définition moderne de l’Etat, à savoir, un ensemble d’institutions chargées de l’élaboration pacifique d’un compromis entre les intérêts antagonistes présents dans le corps social, et de l’édition de règles de comportement collectif (le droit) qui se projette dans le futur.
La troisième interpelle les administrateurs qui doivent, s’ils veulent survivre, opérer un véritable changement de nature dans les rapports respectifs de l’Etat et du citoyen, respecter dans l’administré le semblable et non un séide Les manifestations violentes qui visent à empêcher les dirigeants de partis d’opposition de tenir les meetings font en réalité le jeu de ces partis et les confortent même.
Chaque époque a sa tendance lourde : l’époque actuelle va vers l’épanouissement de l’individu. Epoque où le moi, doit se libérer de ses anciennes entraves religieuses et sociales. Une révolte frontale contre le principe d’autorité, une aspiration débridée aux plaisirs interdits. Le renouveau des idéologies libérales et néo-libérales, la sensibilité accrue des administrés à « l’arbitraire » et aux méthodes administratives autoritaires et non transparentes ont entraîné la disqualification d’un droit administratif traditionnel stigmatisé comme un « droit de privilège » au service de la puissance administrative.

Il s’agit de travailler dans l’optique de la « new public management » (nouvelle gestion publique) notion apparue en occident dans les années 80 et qui appelle la clarification des procédures et formalités, la redéfinition du rôle de l’Etat et les modalités d’exercice de l’autorité.

Loin d’être une instance absolue, souveraine en toutes choses, réglant chaque détail, ce qui introduirait dans la société un principe de contrainte exorbitant, propre à engendrer une réaction violente contre son autorité, l’Etat devient comme le disait Maurice Hauriou, l’ange gardien de la société, l’esprit tutélaire entretenant les mécanismes de son fonctionnement, veillant sur toutes les institutions qui la composent, garantissant l’autorité de celles-ci sur leurs membres mais protégeant ces derniers contre les excès éventuels.

Les exigences de communication doivent accompagner la police des réunions et manifestations publiques. Le dialogue, l’information, l’explication doivent inspirer les relations entre l’autorité préfectorale et les organisateurs de réunions. Il faut dans les actes et les discours bannir la distinction erronée et dangereuse que l’on diffuse sans bien la comprendre entre l’Etat et la société civile en engageant les organisateurs des manifestations à assurer le bon ordre du déroulement du cortège ou de la réunion conformément à leur responsabilité.

La police est ancrée dans la société pour ne pas subir le contrecoup des transformations qui affectent cette société. Il y a des éléments nouveaux d’une importance primordiale dont il est nécessaire de tenir compte pour envisager dans son ensemble les pouvoirs de police. La phrase du Doyen Hauriou est fort évocatrice à ce sujet : « le système juridique n’est pas homogène… il est, comme l’écorce terrestre, constitué de plusieurs couches ou stratifications »(1). Si nous empruntons cette comparaison du Doyen Hauriou, nous dirions que les éléments issus de la tradition ne constituent qu’une première couche dans le terrain de l’ordre public. A cette première couche, vient s’ajouter une seconde couche constituée par des éléments de « l’époque contemporaine » et même d’autres couches qui marquent l’évolution des mœurs dans le temps.
Reflet des mœurs du temps (« o temporas o mores ») l’ordre public n’est pas un absolu, il est un équilibre : « maintenir l’ordre c’est aujourd’hui organiser la vie en commun, cantonner les rapports de force et promouvoir les rapports de droit (Jean Louis DEBRE). Ce qui suppose une ouverture aux entreprises, aux associations et aux citoyens eux-mêmes, une sorte de « coproduction » de la sécurité collective. Il n’en reste pas moins que quand la crise survient, la décision solitaire ne peut que prendre le pas sur la concertation.

En France, pour qui se souvient du cas du préfet Maurice Papon, les grands absents de son procès étaient ses chefs hiérarchiques : les comptes rendus d’audience mentionnent parfois le nom de Pétain. Aucune allusion n’est faite à Jean Leguay, Secrétaire Général à la police pour la zone occupée et qui était le chef hiérarchique direct de Maurice Papon.