D’un point de vue juridique,
l’État voire les populations
locales sont propriétaires de la
rente forestière. Mais la
répartition de la rente forestière
est aussi une question
économique qui peut se
formuler ainsi quelle est la
répartition la plus favorable au
développement économique du
pays considéré (photo 3) ? Or
l’enjeu est de taille puisque,
comme nous l’avons dit plus
haut, il existe de fortes
présomptions pour considérer
que les sommes en jeu sont
réellement très importantes et
que celles-ci constituent le
principal et surtout le plus
tangible des bénéfices de
l’exploitation d’une forêt
tropicale dans un pays donné,
certains étant difficilement
mesurables ou longs à se faire
sentir. Par exemple, les effets
d’entraînement sur l’économie
locale ou les transferts de
savoir-faire et de technologie,
notamment quand l’entreprise
est étrangère (Gillis, 1980).
L’ancrage au territoire
national
Pour un certain nombre
d’auteurs (Page et alii., 1976 ;
Ruzicka, 1979 ; Repetto, Gillis,
1988 ; Vincent, 1993 ; Vincent,
Gillis, 1998), le critère de
répartition de la rente forestière
dans les pays tropicaux est
l’ancrage au territoire national,
c’est à dire la propension à
réinvestir « loca-lement » la
rente forestière. Avec ce
critère, l’Etat sédentaire est
préféré aux entreprises,
multinationales pour la plupart,
et donc nomades par définition.
Ce point de vue était très
largement partagé par lesproductive du
bénéficiaire
Mais Hyde et Sedjo (1992 et
1993 Hyde, 1998) ont introduit
un changement de perspective.
Ils considèrent, en effet, que le
critère pertinent de répartition
de la rente forestière dans les
pays tropicaux n’est pas
seulement l’ancrage au
territoire mais l’efficacité
L’efficacité producproductive du bénéficiaire. Ils
émettent alors de sérieuses
réserves sur l’efficacité de
l’administration forestière,
considérée comme une agence
publique, non seulement à
prélever la rente forestière
(c’est pour cela qu’ils insistent
tant sur le coût administratif)
mais aussi à l’utiliser, car ils
font l’hypothèse que la rente
forestière lui est af-fectée.
Cette dernière hypothèse est
acceptable pour les redevances
spécialistes du développement
(Bairoch, 1992), au moins
jusqu’à la fin des années 70 et
cela pour l’ensemble des
activités extractives.
forestières, les pays et les
périodes étudiés par les
différents auteurs. Mais le seul
argument empirique proposé
par Hyde et Sedjo est que
l’administration forestière aux
Philippines emploie presque
autant de fonctionnaires que
l’administration forestière
américaine, pour une superficie
forestière cinq fois moins
importante. Ils suggèrent, donc,
que l’affectation des redevances
forestières à cette
administration a eu comme
effet d’augmenter inutilement
ses effectifs et d’élever ainsi le
coût administratif du
prélèvement de la rente
forestière. Mais ils ne disent
rien de la façon dont le surplus
est utilisé par cette
administration. A notre avis, ils
supposent que les recettes
fiscales sont entièrement
converties en salaires. Et ils
considèrent que ce n’est pas
une utilisation efficace de la
rente forestière.
Sédentariser le
réinvestissement de la rente
par les entreprises
Bien qu’ils semblent
favorables, pour les raisons que
nous venons d’évoquer, à une
répartition de la rente forestière
au profit des entreprises, Hyde
et Sedjo ne discutent pas de la
possibilité que cette rente ne
soit finalement pas réinves
réinvestie
sur le territoire. Or, il existe au
moins deux façons de
sédentariser le réinvestissement
de la rente par les entreprises ;
· en favorisant les
entrepreneurs « nationaux » ;
· en incitant à la transformation
locale de la matière première.
Ces deux cas de figure ont été
examinés par les auteurs qui
sont plutôt favorables à une
répartition de la rente forestière
en faveur de l’Etat. Et, de fait,
Page et alii. (1976) et Ruzicka
(1979) notent que les
entreprises nationales sont
systématiquement moins
efficaces que les entreprises
étrangères. Quant à Gillis
(1980) et Vincent (1992), ils
constatent que les politiques de
protection des usines de
transformation menées par la
Malaisie et l’Indonésie à partir
du milieu des années 70
– en
exemptant les usines de la taxe
à l’exportation, puis en
imposant un arrêt des
exportations de grumes – se
sont concrétisées par la
construction d’usines ayant des
rendements en matières très
inférieurs à ceux des usines
étrangères ne bénéficiant pas
d’une telle protection. Par
conséquent, une partie de la
rente forestière « potentielle » a
été détruite. Non pas à cause
d’investissements inadaptés,
mais parce que la protection
rendait possible – la matière
première étant moins chère –
l’existence de rendements en
matières plus faibles. Telle est
en tout cas notre interprétation,
car les deux auteurs ne sont pas
très précis sur les raisons qui
conduisirent les usines
indonésiennes et malaysiennes
à être moins efficaces que les
usines étrangères utilisant la
même matière première, cette
dernière condition « la même
matière première » étant
évidemment très importante.
Mais les auteurs ne sont
malheureusement pas très
précis sur cet aspect technique
du problème.
Finalement, il ressort de cette
discussion que les territoires
des pays tropicaux ne sont pas
des lieux très propices à une
bonne utilisation de la rente
forestière. Subsiste alors l’impression
de devoir choisir entre
Charybde, une administration
inefficace « par nature », ou
Scylla, des entreprises
inefficaces car de facto