Si la réflexion sur le rôle de la
fiscalité forestière dans les pays
tropicaux a débuté dans une
perspective de développement
économique, il était
inéluctable, compte tenu de la
montée des préoccupations
environnementales et de
l’ampleur prise par le
phénomène de déforestation
dans les pays tropicaux, que les
auteurs s’interrogent sur la
possibilité d’utiliser la fiscalité
forestière comme une écotaxe.
La fiscalité comme une
écotaxe
Il existe deux façons de
concevoir le rôle d’une écotaxe
(Lipietz, 1999) :
· soit comme une incitation
économique destinée à
modifier le comportement du
pollueur (dite taxe incitative
« à la Pigou » ou plus
simplement écotaxe « à la
Pigou », Pigou étant le nom de
l’économiste à l’origine de la
théorie des externalités) ;
· soit comme une redevance
qui ne modifie pas le
comportement du pollueur
mais que l’on affecte à la
réparation des dégâts, à
condition évidemment que les
atteintes portées à
l’environnement soient
réversibles. Cette dernière est
dite redevance
environnementale ou redevance
affectée.
Pour Repetto et Gillis (1988),
la fiscalité forestière peut
limiter la déforestation, en
jouant le rôle d’écotaxe à la
Pigou. Cette proposition prend
appui sur l’analyse proposée
par Gillis (1980) de l’écrémage.
Ce dernier montre que les
redevances les plus
couramment utilisées (car les
plus simples à administrer)
étaient, notamment en
Indonésie, des redevances fixes
ou ad valorem sur le volume et
que l’augmentation du taux de
ces redevances accroissait
l’écrémage. Mais l’inverse est
évidemment vrai. Autrement
dit, plus les taux de ces deux
types de redevances sont bas,
plus l’exploitation est intensive
dans une forêt donnée et plus
elle s’étend en direction des
forêts marginales. Les causes
de la déforestation sont
cependantdifférentes dans les
deux cas. Dans le premier cas,
elle résulte éventuellement
d’une surexploitation de la
ressource naturelle, dans le
second, de l’ouverture de
peuplements, les rendant ainsi
plus facilement accessibles,
notamment aux planteurs et
plus généralement aux
migrants. Par conséquent, plus
les superficies de forêts
ouvertes à l’exploitation sont
importantes, plus le danger
d’une déforestation d’origine
agricole est grand, ce facteur se
conjuguant à une éventuelle
surexploitation des forêts
inframarginales.
La subvention d’une
industrie de transformation
Les deux auteurs s’en prennent,
aussi, à la politique de
subvention d’une industrie de
transformation. Elle consiste à
exempter les grumes qui sont
transformées sur place de taxes
à l’exportation. Or, Gillis
(1980) constate que les usines
asiatiques qui ont bénéficié de
cette exemption ont eu des
rendements en matières
inférieurs à ceux des usines
étrangères. Cela implique qu’à
volume de produits finis
équivalent, une usine de
transformation protégée
consomme plus de grumes que
n’en consommerait une usine
qui achèterait ces grumes sur le
marché mondial. Par
conséquent, Si la demande de
contreplaqué (dans le cas de
l’industrie indonésienne) reste
identique et que le pays
souhaite conserver une part de
marché équivalente à celle qu’il
avait en exportant des grumes,
l’exploitation forestière
s’intensifie dans les forêts
inframarginales et s’extensifie
en direction des forêts
marginales.
En conclusion, si l’État
augmente son prélèvement sur
la rente forestière en utilisant
des redevances sur le volume,
il limite, d’une part,
l’intensification de
l’exploitation forestière dans le
forêts inframarginales ainsi que
son extension dans les forêts
marginales et, d’autre part, le
développement d’une industrie
de transformation fortement
consommatrice de matière
première. Par ailleurs, il
augmente probablement ses
recettes fiscales, ce qui est
éventuellement favorable au
développement économique du
pays.
La notion d’aménagement
durable
Vincent (1990) introduit un
élément nouveau dans le débat
sur le rôle environnemental de
la fiscalité forestière dans les
pays tropicaux : la notion
d’aménagement durable. Pour
lui, aménager durablement une
forêt tropicale consiste, dans
une vision empruntée à
l’économie des ressources
naturelles, à maintenir le stock
de capital naturel à un
niveau
constant. Si le peuplement se
régénère naturellement après
une coupe sélective, il est
possible d’exploiter
indéfiniment la ressource
naturelle sans entraîner la
déforestation. Or, son
hypothèse est que, dans le cas
d’une forêt tropicale et à
condition que la coupe soit
sélective, la régénération
naturelle est possible si, après
la coupe, des travaux que l’on
qualifiera de sylvicoles sont
réalisés.
Il propose, alors, d’utiliser les
recettes de la fiscalité forestière
pour financer les travaux
destinés à favoriser la
régénération naturelle du
peuplement forestier. La
fiscalité forestière est, donc,
envisagée comme une
redevance affectée à la
réparation des dégâts de
l’exploitation forestière.
L’objectif environnemental est
plus ambitieux car il ne
consiste plus seulement à
freiner la déforestation mais à
favoriser « l’aménagement
durable ».
Hyde et Sedjo (1992)
poursuivent la réflexion sur
l’aménagement durable. Ils se
demandent si la fiscalité
forestière peut inciter
l’exploitant forestier, d’une part,
à diminuer les dégâts causés
par l’exploitation forestière sur
les arbres qui restent sur pied
et, d’autre part, à adopter un
comportement de sylviculteur
en favorisant les arbres
d’avenir. Ils supposent donc,
même s’ils ne le disent pas, que
les dégâts causés par
l’exploitation d’une forêt
tropicale sont éventuellement
irréversibles (dans ce cas, la
solution proposée par Vincent
n’est pas valable) et que
l’aménagement durable
nécessite l’adoption de
méthodes d’exploitation
forestière à faible impact sur le
milieu naturel. Ils concluent
par la négative, ce qui était
prévisible. En effet, une taxe
incitative à la Pigou est efficace
Si l’objectif environnemental
est atteint en diminuant le
volume de production. C’est le
cas pour la déforestation. La
taxe n’estplus efficace si
l’objectif est un aménagement
durable, défini comme la
réduction de l’intensité des
dégâts de l’exploitation
forestière.