Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans laquelle l’ont entraîné ses piètres dirigeants, militaristes et aventureux, et dont il est sorti dévasté, défait et occupé, le Japon s’est juré de ne plus jamais s’en remettre au sort des armes. La Constitution qu’il s’est donnée lui interdit désormais de consacrer plus de 1 % de son PIB (produit intérieur brut) aux dépenses militaires.
Il est allé sur ce plan plus loin que tous les autres pays du monde, à l’exception notable du Costa Rica, qui a décidé, lui, qu’il n’avait pas besoin d’armée, ni, par conséquent, de budget de défense.
La règle, non écrite, mais bien connue de tous les grands responsables des pays dont les finances sont gérées avec sérieux et sagesse, est la suivante : en temps de paix, on affecte, chaque année, aux forces armées et à la défense, entre 1 % et 3 % du PIB, pas plus. Et l’on s’efforce de ne pas trop dépasser 2 %.
Car, au-delà, commencent le gaspillage des deniers publics, le bradage des intérêts nationaux, avec ce que cela suppose de corruption et de collusion avec les pays exportateurs d’armes.
Au-delà, on compromet le développement économique et social du pays.
À titre d’exemple, l’Allemagne et l’Italie, qui ont plafonné leurs dépenses militaires à 2 % de leur PIB, leur consacrent environ 1,5 % de celui-ci. L’Inde et la Chine, puissances nucléaires, ainsi que la Corée du Sud (menacée par la Corée du Nord) sont, elles, à un peu plus de 2 % de leurs PIB, mais largement en dessous de 3 %. La France est à 2,4 %.
Quant à l’Iran, dont on claironne qu’il menace militairement Israël, l’Europe et les États-Unis réunis, il ne consacre que 2,7 % de son PIB à ses armées ; la Turquie est exactement au même niveau.

Parmi les pays développés, seule la Grèce a laissé déraper ses dépenses militaires : elles dépassent 4 % du PIB. Et si elle est aujourd’hui menacée de faillite, c’est en grande partie parce que ses gouvernants civils ont cédé, depuis une génération, aux demandes excessives de leurs généraux.
Fort heureusement pour la Grèce, son voisin turc lui a indiqué, pour la rassurer, que, contrairement aux assertions des généraux grecs, la Turquie ne menaçait nullement sa sécurité, tandis que l’Union européenne et le FMI, qui s’étaient portés à son secours sur le plan financier, lui ont recommandé d’opérer des coupes dans son budget militaire.
Elle va s’y employer, Volens nolens, et se retrouvera ainsi parmi les pays convenablement gérés…

Quelques pays exportateurs de pétrole – dont l’Angola – et certains pays arabes s’écartent de cet objectif.
Les tristes champions sont les Émirats arabes unis, qui gaspillent chaque année près de 6 % de leur prodigieux PIB en dépenses militaires, et l’Arabie saoudite, qui, elle, surclasse tous les pays du monde en la matière : près de 12 % de son PIB annuel part ainsi en fumée.
l’Arabie saoudite consacre à ses armées presque autant que l’Allemagne et davantage que l’Inde, l’Italie et la Corée du Sud.
La Chine, encore elle, se distingue par la pertinence de ses choix stratégiques. Après avoir erré et s’être beaucoup trompé, le Parti communiste, qui la dirige depuis plus de soixante ans, a fini par trouver, en 1978, grâce au génial Deng Xiaoping, la voie qui a conduit ce grand pays à une vraie renaissance.
Tout au long des trois dernières décennies – c’est le cas de parler des « Trente (années) Glorieuses » –, son économie s’est développée en moyenne de 10 % par an, un pourcentage jamais approché par aucun autre pays. La Chine est devenue l’usine du monde et sa deuxième économie ; ses réserves de change s’approchent à grands pas du chiffre fantastique de 3 000 milliards de dollars.
Son budget militaire ? Il a progressé d’année en année, mais raisonnablement, en tout cas moins vite que la croissance économique.
Il est certes deux fois plus élevé que celui de la Russie, mais six fois inférieur à celui des États-Unis. En tout cas, il ne dépasse guère 2 % du PIB du pays.

Ce n’est pas sur ses armées que la Chine axe l’essentiel de ses efforts et ce ne sont pas à elles que Pékin consacre le plus d’attention et de moyens financiers.
Voici ce qu’écrit, dans Time, Fareed Zakaria, Américain d’origine indienne et bon connaisseur de la Chine :
« Depuis 1998, Pékin a entrepris un spectaculaire développement de son système éducatif : le pourcentage du PIB qui lui est consacré a presque triplé, le nombre des collèges a doublé ; et celui des étudiants, quintuplé : 1 million en 1997, 5,5 millions en 2007.
Un « top-nine » des universités a été établi, sur le modèle de l’Ivy League (les plus anciens et prestigieux établissements universitaires américains). Au moment où les universités européennes et les universités publiques américaines subissent de plein fouet des coupes budgétaires drastiques, la Chine prend le chemin inverse.
Richard Levin, le président de Yale, le soulignait, il y a quelques mois : « En moins de dix ans, Pékin est parvenu à mettre en place le plus important système d’enseignement supérieur au monde.
L’augmentation du nombre des étudiants admis dans l’enseignement supérieur depuis le tournant du millénaire est supérieure au nombre total des étudiants aux États-Unis. »
Lisez ce qu’écrit Abdelwahab Meddeb dans le nouvel observateur du 20 au 26 Janvier 2010, sur les origines de la révolution tunisienne: »Tout le mal de la Tunisie vient des défaillances du bourguibisme et tout le positif vient aussi de lui. Bourguiba a fait un effort considérable pour l’éducation: 25 % du budget de l’Etat y était consacré, contre1% pour l’armée! Nous avons donc hérité d’une société éduquée. »