Le pluralisme implique la participation au débat démocratique et par conséquence la discussion, la confrontation des opinons, nécessaires au citoyen pour la désignation des gouvernants et le contrôle de leur action. Ce débat peut avoir lieu sur la voie publique, considéré comme un espace privilégié d’expression des citoyens. L’échange des idées et la confrontation des valeurs peuvent ainsi se manifester au cours des rassemblements publics (Section I), mais aussi à travers des sollicitations des individus présents sur la voie publique (Section II).
SECTION I : LES RASSEMBLEMENTS SUR LA VOIE

PUBLIQUE
Les rassemblements peuvent être définis comme de « grande réunions de personnes », ou comme « l’union de force politiques ou sociales en vue d’une action commune ». Les manifestations et les attroupements sont en effet des moyens d’expression permettant le pluralisme dans la société. En effet ayant lieu par définition sur la voie publique, ils permettent de toucher un grand nombre de personnes et de forcer l’attention sur le message à faire passer.

Nous envisagerons donc comment l’exercice de cette liberté d’expression se concilie avec le maintien de l’ordre public par les différentes autorités investies du pouvoir de police administrative, en étudiant tout d’abord le régime des manifestations (Paragraphe I), avant de nous intéresser aux attroupements sur la voie publique (Paragraphe II), puis enfin aux processions et manifestations religieuses (Paragraphe III).
PARAGRAPHE I : LES MANIFESTATIONS SUR LA VOIE

PUBLIQUE
La manifestation, par définition, a lieu sur la voie publique. Or la voie publique constitue également le lieu d’exercice privilégié de la liberté fondamentale d’aller et venir ; de plus, son affectation première est celle de la circulation. Il en résulte que la liberté de manifester d’une part et la liberté d’aller et venir d’autre part peuvent s’opposer, et porter atteinte à l’ordre public. Nous verrons donc, après avoir défini ce que constitue une manifestation (A), comment l’autorité de police administrative assure la conciliation de ces libertés entre elles et le maintien de l’ordre public sur les voies publiques (B).

A- L’identité de la manifestation

De la manifestation, nous distinguerons ici l’identité politique de l’identité juridique.
1- L’identité politique

Une manifestation est un acte politique collectif, qui se traduit notamment par un défilé de protestation, qui peut avoir différents objectifs :

· amélioration des conditions de vie, souvent à l’appel des syndicats, ou à l’occasion de grèves ;

· protestation contre une loi, un décret, une réforme ;

· protestation contre une fermeture d’usine ou contre des licenciements abusifs ;

· revendications politiques (exemples : lutte contre le racisme, le sexisme, ou lutte pour la démission d’un gouvernement) ;

· manifestation pour la paix et contre la guerre.

Dans la plupart des pays démocratiques, les lois (par exemple le premier amendement de la constitution américaine) permettent les manifestations et la liberté de se regrouper, qu’elles considèrent comme un droit et un contre-pouvoir.

Selon Guy Groux et Jean-Marie Pernot, « le rôle de la manifestation tient en peu de mots. Partie prenante de l’expression démocratique – notamment de la démocratie directe -, la manifestation vise à influer sur l’opinion, à influencer le pouvoir politique et, ce faisant, à contribuer à la naissance de politiques publiques menant à la satisfaction des revendications qu’elle exprime»67(*).

Les manifestants apportent souvent des banderoles, chansons, tracts et slogans qui leur permettent d’exprimer leur point de vue aux habitants et aux médias dans une ambiance bon enfant.

En marge d’une petite minorité de manifestations, des scènes de violences urbaines ont parfois lieu, elles peuvent être provoquées par des manifestants ou des personnes extérieures (que les médias appellent alors des  » casseurs ») et/ou par les forces de police ou des policiers en civils. Elles ont globalement deux cibles principales : la police d’une part, et les édifices publics ou symboles marchands d’autre part. Intervenant souvent en fin de manifestation, le moment de la dispersion est crucial.

Lorsque celle-ci n’intervient pas assez rapidement, en dépit des appels des organisateurs et des forces de l’ordre elles-mêmes, ces dernières ont toute latitude d’intervenir, que ce soit en chargeant ou à l’aide de grenades lacrymogènes. Lorsque les manifestants réagissent et contre-attaquent (en lançant divers projectiles, en renvoyant les grenades lacrymogènes, etc.), la manifestation peut alors tourner à l’émeute. Il arrive également que des manifestants décident d’eux-mêmes d’attaquer la police.

Lorsque l’affrontement direct avec la police est impossible (pour des raisons de rapport de force par exemple) ou bien que le contexte de révolte totale s’y prête, les manifestants (ou casseurs, quoique la distinction soit malaisée à faire dans l’absolu) peuvent choisir de détruire le mobilier urbain, de renverser des voitures afin d’édifier des barricades, de briser des vitrines, etc. Il est rare que l’un et l’autre type de violences urbaines soit totalement séparés.

La conclusion de ces soulèvements consiste généralement en des séries d’interpellations (facilitées par le travail des policiers en civil qui infiltrent le mouvement), de placement en garde à vue, puis de jugements et de condamnation.

2- L’identité juridique

La manifestation peut être définie comme « le fait, pour un certain nombre de personnes, d’user de la voie publique, soit de façon itinéraire, soit de façon statique, afin d’exprimer collectivement et publiquement, par leur présence, leur nombre, leur attitude, leurs cris, une opinion ou volonté commune »68(*). Il n’y a donc ni discours formalisés, ni échange formalisé d’idées ; la manifestation a pour but d’exprimer une opinion, sans prise de parole, contrairement à la réunion publique qui à nécessairement pour objet d’entendre l’exposé d’idées ou d’opinions, ou de se concerter pour la défense de certains intérêts.

Si la manifestation est itinérante, on parlera plutôt de cortège ou de défilé. Le nombre minimum d’individus composant une manifestation n’est pas fixé par la loi ; il appartiendra au juge d’apprécier si les participants étaient en nombre suffisant pour que l’on puisse considérer qu’ils formaient une manifestation.

La manifestation est un mode d’expression qui a lieu toujours en France : on se souvient ainsi des processions de la marche sur Versailles, ou encore de la soirée sanglante du 6 février 1934 ; c’est d’ailleurs à la suite de cette manifestation que fut enfin édictée une réglementation des manifestations avec le décret-loi du 23 octobre 193569(*) : en effet, jusqu’à cette date, les autorités administratives interdisaient ou autorisaient les manifestations selon que l’ordre public leur paraissait devoir ou non être troublé, en s’appuyant sur l’article 6 de la loi de 1881 qui interdit les réunions sur la voie publique et sur l’article 97 de la loi municipale de 1884.

Le droit de manifestation a été constitutionnellement garanti en 1995 dans la décision « Vidéosurveillance » du Conseil constitutionnel70(*). Il est aussi reconnu par l’article 11 de la CESDH, sous la dénomination de « liberté de réunion pacifique », en tant que corollaire des articles 9 et 10, relatifs à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et à la liberté d’expression71(*). Le Code pénal français organise quant à lui sa protection : il dispose que le fait d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces cet exercice de la liberté est puni de sanctions correctionnelles72(*).

La manifestation reste paradoxalement considérée, au moins par la doctrine, comme un usage « anormal » de la voie publique ; c’est pourquoi l’usage de ce droit est réglementé, et fait intervenir les autorités de police administrative.
B- Le régime de la manifestation

La manifestation est soumise à déclaration ; elle peut aussi être interdite.
1- La soumission à déclaration préalable

Tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique, à l’exception des sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux73(*) doivent faire l’objet d’une déclaration. La déclaration doit se faire à la mairie de la commune ou des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu où bien, au préfet ou au sous-préfet en ce qui concerne les villes où est instituée la police d’Etat74(*).

Elle doit indiquer les noms, prénoms et domiciles des organisateurs, le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement et l’itinéraire projeté. Elle doit être signée par trois organisateurs. Elle permet à l’autorité de police de prendre contact avec les organisateurs, afin de procéder avec eux à un examen approfondi des conditions de la manifestation. Un récépissé doit être délivré immédiatement aux organisateurs de la manifestation ; cependant, il ne vaut en aucune façon autorisation, une interdiction pourra quand même être prononcée par l’autorité de police administrative.

Mais dans la pratique, les choses ne se passent pas toujours ainsi. De nombreux organisateurs ne respectent pas la règle de la déclaration préalable lorsqu’il s’agit d’une manifestation à caractère politique ou sociale sous prétexte que ladite manifestation sera de toutes les façons interdite. La manifestation, quoique bien fondée, devient alors illégale et occasionne des troubles à l’ordre public que l’autorité de police administrative s’empresse de réprimander.

On garde en mémoire, les manifestations féminines contre la hausse insupportable des prix en avril 2008: la stratégie des femmes pour manifester était toute simple. Le visage badigeonné de kaolin, elles se sont armées de vielles casseroles pour faire le maximum de bruits dans le but de se faire entendre et, éventuellement, comprendre. Le mot d’ordre est largement suivi puisque qu’il a été largement diffusé grâce aux téléphones portables des principales responsables du mouvement.

Réponse immédiate du gouvernement : un important dispositif de forces de l’ordre constituées par les éléments de la police et de la gendarmerie appuyées par des commandos de la gendarmerie et des corps d’élite de la Compagnie Républicaine de Sécurité (CRS) et du Centre de Commandement et de Sécurité (CECOS). Face à la témérité des manifestantes, l’ordre a été donné à la police et à la gendarmerie de les disperser. La débandade s’est tout de même solder par un mort et une dizaine de blessés selon les journalistes et photographe de l’AFP75(*).

2- La possibilité de restrictions de l’exercice de la liberté de manifestation

L’autorité investie de pouvoirs de police peut interdite la manifestation si elle estime qu’elle est de nature à troubler l’ordre public. L’arrêté d’interdiction est notifié immédiatement aux signataires de la déclaration.

Le Conseil d’Etat veille à ce que l’interdiction soit bien motivée par une atteinte réelle à l’ordre public. Il écarte ainsi l’interdiction prononcée parce que la manifestation « porter atteinte aux relations internationales de la République »76(*). Il aligne ainsi sa jurisprudence en matière de manifestation sur celle de ce qu’il a développé en matière de réunion. Dans le même arrêt il précise que l’interdiction d’une manifestation ne peut être prononcée pour « un motif, qui ne fait pas référence à des risques de troubles à l’ordre public ».

L’arrêté d’interdiction n’est donc fondé qu’autant que la manifestation présente un danger de troubles à l’ordre public, et qu’il n’existe pas d’autre moyen efficace de maintenir l’ordre public. Il est cependant difficile d’évaluer le risque de troubles à l’ordre public, notamment lorsqu’il s’agit de manifestation à caractère politique ou social ; dans ce cas, le Conseil d’Etat semble admettre plus largement l’existence d’une menace pour l’ordre public77(*).

La Cour européenne des droits de l’homme est allée encore plus loin dans un arrêt Plattform « Ârztefür das Leben » du 21 juin 198878(*), elle a jugé que les Etats avaient l’obligation de prendre des mesures positives pour permettre que puisse s’exercer « une liberté réelle et effective de réunion pacifique ».
PARAGRAPHE II : LES ATTROUPEMENTS SUR LA VOIE

PUBLIQUE

Les attroupements, contrairement aux manifestations sur la voie publique, menacent encore plus l’ordre public. Nous verrons qu’un attroupement est précisément défini par le fait qu’il est « susceptible de troubler » cet ordre (A). C’est pourquoi nous verrons que les autorités de police administrative disposent en la matière de pouvoirs quelque plus étendus (B), et que du fait de l’étendue des dommages causés en général par ces attroupements, le régime de la responsabilité de l’Etat est favorable aux victimes (C).

A- La notion d’attroupement

L’attroupement est un rassemblement illégal de personnes sur la voie publique, susceptible de troubler la paix publique, et qui refuse de se disperser après sommations des autorités. Le Code pénal n’interdit donc pas en lui-même l’attroupement ; il voit en lui la situation de fait préalable à la commission de l’infraction, qui est celle de rester sur place malgré les sommations.

L’attroupement spontané reste légal tant qu’il ne trouble pas l’ordre public et n’a pas fait l’objet d’un ordre de dispersion. Au contraire, l’attroupement délictueux est constitué par le fait de rester volontairement sur la voie publique alors que les sommations prévues par la loi ont été effectuées.

Bien entendu, les manifestations traditionnelles et celles déclarées ne constituent pas en principe, en principe, des attroupements ; la manifestation dont les organisateurs n’ont pas satisfait à l’obligation de déclaration préalable n’est pas non plus ipso facto un attroupement. De même, le fait qu’une manifestation sur la voie publique ait été interdite par l’autorité de police administrative est insuffisant pour la faire considérer comme un attroupement79(*).

Tant que le rassemblement ne menace pas de troubler l’ordre public, il ne peut être considéré comme un attroupement, que ce rassemblement soit spontané ou illégal (manifestation non déclarée ou interdite). Ainsi, on peut citer l’exemple du rassemblement spontané de jeunes devant une discothèque, qui ne se transforme en attroupement qu’après s’être vu refuser l’entrée pour des motifs racistes : Conseil d’Etat, arrêt du 13 décembre 2002, « Compagnie d’assurances Les Lloyd’s de Londres ». La loi laisse donc à l’autorité administrative, sous le contrôle des juridictions répressives, le soin d’apprécier l’imminence et l’intensité de trouble que l’attroupement risque de provoquer.

On peut donc considérer que, contrairement à la liberté de manifestation, la liberté d’attroupement n’existe pas ; cela semble normal, compte tenu de la définition légale de l’attroupement comme menace à l’ordre public : il est impossible de reconnaître l’existence d’une liberté de troubler cet ordre.

Mais la distinction opérée entre attroupement et rassemblement spontané conduit à conclure à l’existence d’une liberté de s’assembler spontanément, qui subsiste tant que l’ordre public n’est pas menacé, et dont le respect s’impose aux autorités de police administrative.

B- Le régime de l’attroupement sur la voie publique

L’attroupement est donc par définition menaçant pour l’ordre public ; c’est pourquoi il revient aux autorités de police administrative, le maire ou le préfet, d’en ordonner la dispersion. L’article 179 du Code pénal donne compétence pour effectuer les sommations au préfet, au sous-préfet, au maire ou l’un de ses adjoints, tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre officier de police judiciaire porteurs des insignes de leurs fonctions.

La menace de trouble caractérise donc la situation de fait préalable et nécessaire à la commission de l’infraction, qui est la non-dispersion après les sommations. Il n’est pas nécessaire à l’autorité de police d’établir que l’attroupement a effectivement troublé l’ordre public, de même qu’il n’est pas requis que les participants aient poursuivi un but illicite ou prémédité leur action. C’est en cela que les sommations pour la dispersion de l’attroupement peuvent constituer une opération de police administrative : il s’agit de prévenir une atteinte à l’ordre public, alors qu’existe un danger réel d’un tel trouble, ou de rétablir cet ordre public lorsqu’il a été effectivement troublé.

En revanche, l’usage de la force publique après non-dispersion des participants est une opération relevant de la police judiciaire, en ce qu’elle a pour but la répression d’une infraction déjà commise. Afin d’éviter toute violence inutile, la procédure de dispersion de l’attroupement est soigneusement réglementée. Les sommations effectuées par les autorités de police se font, selon l’article 179 du Code pénal, suivant des modalités « de nature à les informer efficacement » ; il peut s’agir de l’usage de haut-parleurs, de la nécessité de porter les insignes ; des phrases spécifiques doivent également être utilisées.

Les représentants de la force publique peuvent faire directement usage de la force, sans sommations préalables, dans seulement deux cas : si des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux, ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

Le fait de continuer à participer à l’attroupement après les sommations légales est constitutif d’une infraction, et répréhensible pénalement. C’est donc le juge pénal qui vérifiera tant le respect de la procédure par les autorités de police que l’appréciation portée par ces autorités pour ordonner la dispersion de l’attroupement.

C- Un régime favorable aux victimes des attroupements

Dans l’arrêt du 13 décembre 2002, « Compagnie d’assurances Les Lloyd’s de Londres » (précité), le Conseil d’Etat reprend la définition de l’attroupement retenue par son arrêt du 29 décembre 2000, AGF80(*), selon laquelle l’attroupement correspondant à un « groupe agissant de manière collective et concertée ». Dans cette espèce, des jeunes gens s’étaient progressivement regroupés devant une discothèque à Beaune, dont l’entrée leur avait été refusé par la direction de l’établissement ; restés massés plusieurs heures devant la discothèque en manifestant leur mécontentement, certains d’entre eux ont fini par réussir à pénétrer dans l’établissement, où ils ont procédé à diverses destructions et dégradations. La discothèque avait donc exercé un recours afin d’engager la responsabilité de l’Etat, estimant que les faits étaient dus à un attroupement.

Le Conseil d’Etat infirme alors l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, qui avait rejeté leur requête en considérant des jeunes formé devant la discothèque n’avait pas le caractère d’un attroupement. Le Conseil d’Etat reconnaît alors à de tels agissements le caractère d’attroupements, par le fait qu’ils « ont été commis à force ouverte et constituent des délits ».

Il s’agit donc d’une interprétation très libérale de la notion d’attroupement ; cette conception a amené le juge administratif à admettre la responsabilité de l’Etat pour des dommages causées par « une série d’actions concertées ayant donné lieu sur l’ensemble du territoire ou sur une partie substantielle de celui-ci à des crimes et des délits »81(*).
PARAGRAPHE III : LES PROCESSIONS RELIGIEUSES

Les manifestations extérieures du culte dont la rue peut être le cadre sont de deux ordres : les sonneries de cloches ; les cérémonies et processions. Nous nous intéresserons en particulier au régime actuel des processions religieuses (B), après en avoir examiné l’évolution historique (A).

A- L’évolution historique

Cette évolution a deux moments de référence : le Concordat et la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat.

1- Le Concordat

La législation concordataire garantissait le libre exercice public du culte. Cependant, le maire pouvait, au titre de ses pouvoirs de police, réglementé, voire interdire, les processions sur la voie publique, lorsqu’était en cause la tranquillité publique ou la fluidité de la circulation. La jurisprudence admit toujours cette compétence de l’autorité municipale, qui avait été prévue dès 1790 et reprise par la législation ultérieure, avant d’être confirmée aux articles 94 et 97 de la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale82(*).

Jusqu’en 1896, ces arrêtés municipaux d’interdiction restaient rares et fondés sur des considérations d’intérêt général peu discutées ; s’ils devinrent plus fréquents, les parties se montraient toutefois conciliantes entre elles. Mais à partir de 1896, les arrêtés d’interdiction se multiplièrent, ainsi que les processions et manifestations extérieures organisées par les ecclésiastiques. De même, les poursuites menées par les maires et les ecclésiastiques devinrent plus nombreux, et le Conseil d’Etat se retrouva submergé de procédures en recours pour abus contre les arrêtés litigieux.

Quand cette voie de recours disparut en 1905 avec l’ensemble de la législation concordataire83(*), les arrêtés municipaux persistèrent, et furent soumis au Conseil d’Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir ; le Conseil d’Etat, quant à lui, ne changea pas ses critères d’appréciation.

2- Le régime de la loi de 1905

Avec la disparition de la législation concordataire par suite de la loi de séparation des églises et de l’Etat en 1905, les processions et manifestations extérieures de culte furent soumises à un régime beaucoup plus libéral. L’article 27 de la loi de 1905 dispose en effet que « les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte continueront à être réglées en conformité des articles 95 et 97 de la loi municipale du 5 avril 1884 ». En vertu de ces dispositions, le maire détient les pouvoirs de police nécessaires pour assurer le maintien de l’ordre à l’extérieur comme à l’intérieur des édifices du culte.

Il pouvait donc toujours réglementer, voire interdire, les processions et manifestations extérieures du culte susceptibles de troubler l’ordre public, sous le contrôle du Conseil d’Etat. Celui-ci vérifiait qu’il n’y avait pas atteinte au libre exercice du culte, utilisant des critères constants dans sa jurisprudence.

Ainsi, il juge que « si, en vertu des pouvoirs de police qui lui ont été conférés, le maire peut réglementer les cérémonies, processions et autres manifestations religieuses extérieures, il doit, dans l’accomplissement de sa mission, garantir le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions que commande l’intérêt de l’ordre public, et ne peut porter atteinte aux traditions locales que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l’ordre »84(*). Le curé reste quant à lui maître de l’organisation des célébrations à l’intérieur des édifices religieux dès lors qu’il n’y a pas atteinte à l’ordre public85(*).

B- Le régime actuel des processions religieuses

Progressivement, la jurisprudence est venue fixer de manière libérale le régime juridique des manifestations extérieures du culte : le Conseil d’Etat a ainsi précisé que les pratiques culturelles extérieures ne portent pas elles-mêmes atteinte à la laïcité ou à la liberté de conscience ; en conséquence, elles ne peuvent faire l’objet d’une interdiction totale, pas plus qu’elles ne peuvent être soumises à un régime d’autorisation préalable86(*).

Le régime actuel distingue donc deux cas, inspirés de la jurisprudence constante du Conseil d’Etat : les cérémonies et processions traditionnelles et celles qui n’ont pas ce caractère.

1- Les cérémonies et processions traditionnelles

En raison de leur caractère régulier, traditionnel, elles sont dispensées de toute déclaration préalable. Selon le Conseil d’Etat87(*), le décret-loi de 1935 sur le régime des manifestations dispense d’une telle formalité les sorties sur la voie publique « conformes aux usages locaux », ce qui inclut les processions traditionnelles.

Leur déroulement paisible est en effet présumé du fait qu’elles s’inscrivent dans les coutumes locales. Seules de réelles menaces de troubles à l’ordre public sont de nature à justifier l’interdiction de ces processions et manifestations. Le juge administratif exerce donc un contrôle très étendu en la matière : ainsi, il a annulé un arrêté d’interdiction fondé sur une crainte de contre-manifestation88(*), ou sur une gêne occasionnée pour les riverains89(*), ou encore sur une disparité entre les cultes90(*).

Le caractère traditionnel d’une cérémonie ou d’une procession résulte de son ancienneté, ainsi que de son déroulement régulier et paisible attestant qu’elle est admise de tous. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser qu’un arrêté municipal d’interdiction de cette manifestation, même ancien, n’est pas de nature à remettre en cause le caractère traditionnel, quand bien même aucune célébration n’aurait eu lieu depuis de nombreuses années du fait de l’interdiction91(*).

Le caractère traditionnel de la procession est apprécié localement ; cette notion de tradition locale est interprétée de façon large par la jurisprudence, qui y inclut les fêtes générales (Toussaint, Rameaux…) mais aussi les cérémonies propres à un lieu déterminé (convois funéraires par exemple).

La référence aux usages locaux exclut que des cérémonies ou processions qui appartiennent à une tradition religieuse ancienne, mais dont la pratique est récente localement, puissent être considérées comme traditionnelles.

2- Les cérémonies et processions non traditionnelles

Ce sont celles auxquelles les fidèles ne sont pas attachés aussi profondément, et dont la pratique est récente ou occasionnelle. Ces processions sont soumises au régime général des manifestations sur la voie publique tel qu’il ressort du décret-loi de 1935. Elles sont donc soumises à déclaration préalable, et le maire peut prendre des mesures préventives et aller jusqu’à l’interdiction si les nécessités de l’ordre public le commandent, le risque étant beaucoup plus difficile à apprécier du fait du caractère inédit de la situation. Le juge administratif porte alors son attention sur la réalité des motifs d’ordre public invoqués.
SECTION II : LES SOLLICITATIONS SUR LA VOIE

PUBLIQUE

Une sollicitation peut se définir comme « l’action de faire des démarches pressantes pour obtenir quelque chose ». Il s’agit d’une démarche, d’une action concrète en vue d’obtenir un résultat auprès de quelqu’un. La voie publique est donc un lieu particulièrement intéressant pour ce genre d’activités, que ces activités tendent à des préoccupations idéologiques, comme avec la distribution des imprimés (Paragraphe II), ou la publicité extérieures (Paragraphe III), ou qu’elles tendent à la promotion de la générosité publique comme les quêtes (Paragraphe I).
PARAGRAPHE I : LES QUETES

De manière traditionnelle, le droit français pose plutôt un principe d’interdiction des quêtes92(*) sur la voie publique. En tant qu’objet de la police administrative, les quêtes sont soumises à un principe d’interdiction qui n’a cependant pas un caractère absolu. En effet, il existe un système de dérogations à deux niveaux, le niveau national (A) et le niveau local (B).

A- Les quêtes au niveau national

En France, sur la base d’un calendrier national des appels à la générosité publique, annuellement dressé par une circulaire du ministre de l’Intérieur, les quêtes sur la voie publique sont autorisées pour les organismes désignés sur ce calendrier à des dates précises. Il en est ainsi par exemple chaque année pour les quêtes organisées pour la Journée mondiale des lépreux, pour la semaine nationale de lutte contre le cancer…

Ainsi, les quêtes sur la voie publique menées au plan national se trouvent soumises au même régime que les manifestations sur la voie publique, à la différence que dans ce cas seul le préfet, représentant de l’Etat dans le département, est compétent pour recevoir la déclaration préalable, voire interdire la tenue de la quête en cas de menace réelle de trouble à l’ordre public.

Les associations sont autorisées à tenir une quête sur la voie publique ne doivent pas solliciter le public en dehors des jours autorisés par le calendrier national ou mentionnés dans la déclaration préalable. Cependant, le préfet dispose de la possibilité d’autoriser le début des quêtes la veille du jour fixé à cet effet au calendrier national lorsque ce jour est un dimanche.

B- Les quêtes au niveau local

Les quêtes sur la voie publique autorisées au plan local sont soumises à un régime plus contraignant. En effet, il s’agit d’un régime d’autorisation préalable.

Ces appels à la générosité publique peuvent être autorisés par le préfet, s’ils se déroulent sur tout le département, ou par le maire, lorsqu’ils ont lieu sur le territoire de la commune uniquement. Les maires peuvent, si les circonstances le justifient, interdire le déroulement sur la voie publique d’une quête bénéficiant d’une autorisation préfectorale, en application de la jurisprudence « Commune de Néris-les-Bains » du Conseil d’Etat93(*), qui permet à une autorité de police administrative de prendre une mesure plus rigoureuse que celle édictée par l’autorité supérieure.
PARAGRAPHE II : LA DISTRIBUTION D’IMPRIMES

La distribution d’imprimés sur la voie publique est une des modalités d’exercice de la liberté d’expression. Mais alors que le colportage semble avoir connu un essoufflement historique (A), la propagande électorale par prospectus et imprimés continue d’avoir une certaine vitalité (B).

A- Le colportage, une survivance

Le colportage, ou l’action de colporter, revient à transporter des marchandises, en l’occurrence des imprimés divers (tracts, prospectus, journaux gratuits ou non, livres…), en vue de les distribuer gratuitement ou de les vendre, sur la voie publique ou en allant de maison en maison. Une loi du 27 juillet 1849 décidé que cette activité était soumise à un régime d’autorisation préalable ; ce n’est qu’en 1881 que la loi relative à la liberté de la presse reconnaît définitivement la liberté de colportage, sans toutefois définir précisément cette activité94(*).

Dès les années 1930, le juge administratif accordait également aux maires et aux préfets le pouvoir d’interdire, sous certaines conditions, le colportage des tracts, pour éviter les troubles à l’ordre public : Conseil d’Etat, 30 novembre 1928, Pénicaud95(*) ; Conseil d’Etat, 29 novembre 1937, Société Edition Zed96(*). Cette possibilité d’interdiction était subordonnée, comme toutes les mesures de police administrative portant atteinte à l’exercice d’une liberté, à l’existence d’une menace précise de trouble à l’ordre public et de l’impossibilité de prendre une autre mesure.

Aujourd’hui, la distribution des tracts, prospectus et autres imprimés sur la voie publique est réglementée par l’autorité de police municipale. Cette dernière peut, quand les circonstances l’exigent, « interdire les distributions en certains lieux et à certaines heures où elles troubleraient l’ordre public ou la circulation, quand cette dernière est particulièrement difficile ». C’est ce qui ressort d’un arrêt du Conseil d’Etat, Société Le Monde du tennis contre Préfet de police de Paris97(*), dans lequel le juge admet que l’autorité de police puisse interdire la distribution de tracts autour du stade Roland Garros eu égard à l’affluence exceptionnelle des spectateurs désirant assister aux championnats internationaux de France de tennis, et à la disposition des lieux.

B- Le régime particulier de la propagande électorale

La distribution de tracts et prospectus en période électoral est un moyen de propagande normal, puisqu’il permet de toucher un public qui n’est pas forcement sympathisant avec formation politique distributrice ; il s’agit d’ailleurs également d’un moyen de propagande efficace en dehors de toutes échéances électorales. C’est ce qu’ont considéré les juges de la Cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt Commune d’Orange de 200298(*), censurant des restrictions à cette liberté de distribuer des tracts.

Cependant, distribués avec une intention malveillante, ces imprimés peuvent tendre à dénaturer le vote des électeurs. C’est pourquoi l’article L 49 du Code électoral interdit la distribution de bulletins, circulaires et autres documents dans toute la France les jours de scrutin : « il est interdit de distribuer ou faire distribuer, le jour du scrutin, des bulletins, circulaires et autres documents ».

En revanche, le Conseil d’Etat ne censure pas les distributions de tracts qui ont donné lieu à des actes de dégradations et de violences dans un café en période électorale, en retenant que ces faits n’avaient pu avoir d’influence sur la sincérité du vote des électeurs99(*).
PARAGRAPHE III : LA PUBLICITE EXTERIEURE

La publicité extérieure est la forme la plus visible de communication sur la voie publique, mais aussi la plus habituelle pour les usagers de la rue. C’est pourquoi, après avoir défini la notion de publicité (A), nous envisagerons les restrictions dont elle peut faire l’objet au titre de l’ordre public (B), avant d’étudier les restrictions émises au titre du respect du pluralisme des valeurs (C).

A- La notion de publicité

La publicité est une forme de communication, dont le but est de fixer l’attention d’une cible visée (consommateur, utilisateur, usager, électeur, etc.) pour l’inciter à adopter un comportement souhaité : achat d’un produit, élection d’une personnalité politique, incitation à l’économie d’énergie, etc.

On distingue traditionnellement la « publicité commerciale » de « l’affichage d’opinion ». Par publicité commerciale, on entend celle qui participe à toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité professionnelle et destinée au public dans le but de promouvoir une entreprise, un groupe d’entreprise, une marque ou la fourniture de biens et services. Au contraire, par affichage d’opinion, référence est faite à la publicité sans but lucratif, d’information sur l’activité associative, ou visant à défendre une opinion ou une croyance.

B- La réglementation de la publicité extérieure

La réglementation de la publicité extérieure100(*) par les autorités de police administrative peut toucher tant à son support qu’à son contenu ; nous envisagerons donc les restrictions ayant pour but la sécurité routière et la protection de l’environnement et du cadre de vie.

1- Le maintien de la sécurité des déplacements

En raison des risques qu’elle est susceptible de faire peser sur les usagers de la rue, la publicité peut faire l’objet des pouvoirs de police administrative générale du maire qui s’exercent sur la voirie, notamment pour y protéger la circulation.

Un large pouvoir d’appréciation est conféré à l’autorité de police administrative en la matière, à travers les notions de sollicitation d’attention et de réduction de visibilité, qui comportent habituellement une part de subjectivité. Mais le juge administratif apprécie ces critères selon les circonstances : Conseil d’Etat, arrêt Sopremo101(*).

La publicité peut aussi être affichée sur des véhicules en stationnement ou circulant sur la voie publique, à condition, pour des raisons de sécurité routière évidentes, qu’elle ne soit ni réfléchissante ni lumineuse. La surface totale de la publicité sur ces véhicules ne peut toutefois pas dépasser 16 m2 . Enfin, ces véhicule ne peuvent pas circuler en convoi ou à une vitesse anormalement réduite, sous peine de créer des troubles à la circulation. Des dérogations peuvent cependant être accordées par l’autorité de police à l’occasion de manifestations particulières.

Enfin, la protection des usagers de la voie publique est également organisée par un décret français datant du 11 février 1976102(*). Celui-ci prévoit en effet que l’autorité de police administrative peut interdire les dispositifs qu’il considère comme dangereux103(*). De même sont interdits les dispositifs de nature à solliciter l’attention des usagers ; cependant, il existe aucun critère d’appréciation pour apprécier si l’emplacement est de nature ou non à solliciter l’attention dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière. Le contrôle du juge s’appuie donc à partir du cadre dans lequel le dispositif a été installé.

Toutefois, de telles interdictions ne peuvent qu’être limitées et envisagées pour des emplacements précis, ponctuels et clairement délimités. Enfin, sont interdis les dispositifs susceptibles d’éblouir les usagers de la voie publique ; un arrêté du 30 août 1977104(*) fixe donc les conditions et les normes applicables aux dispositifs lumineux et rétro réfléchissants visibles des voies ouvertes à la circulation publique.

2- Les restrictions relatives à la protection de l’environnement et du cadre de vie

La loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes a pour objectif de réglementer la liberté d’affichage sur la voie publique dans une optique de réglementer la liberté sur la voie publique dans une optique de protection de l’environnement et du cadre de vie.

Cette loi attribue des pouvoirs de police spéciale, exercés au nom de l’Etat, au préfet et au maire en la matière. En son article 4, elle définit tout d’abord les supports sur lesquels toute publicité est interdite, et qui doivent bénéficier, compte tenu de leurs caractéristiques, d’une protection absolue : il s’agit des monuments historiques, des sites classés, des arbres, des monuments naturels… Cet article octroie également des pouvoirs d’intervention énergiques et dissuasifs aux autorités de police, en leur permettant d’ « interdire par arrêté toute publicité sur des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque ».

En effet, la publicité extérieure est perçue comme une source de pollution visuelle, une cause de dégradation des paysages. En principe, la publicité est autorisée à l’intérieur des agglomérations. Cependant, l’esthétique pouvant apparaître comme un objectif d’ordre public dans la jurisprudence du Conseil d’Etat depuis l’arrêt Leroux du 2 août 1924105(*), la publicité extérieure peut donc faire l’objet de mesures de police administrative.

C- Publicité extérieure et pluralisme des valeurs

Les manifestations de la liberté d’expression, telles que la publicité extérieure, peuvent subir des restrictions au nom du pluralisme des valeurs, dans un objectif de protection des droits et des libertés d’autrui, mais également de protection de la morale et de la décence.

1- La protection des droits et des libertés d’autrui

Le contenu des messages publicitaires et affiches apposées sur la voie publique peut être de nature à porter atteinte, dans la mesure où ils sont susceptibles de choquer les consciences des passants, en raison de leurs convictions morales, philosophiques ou encore religieuses. En matière de convictions religieuses, la CESDH a consacré le « droit à la jouissance paisible de liberté de religion » dans un arrêt Otto-Preminger Institute du 20 septembre 1994, droit qu’elle définit comme l’absence d’injures, d’outrages ou de troubles graves motivés par l’appartenance religieuse ou l’exercice de la liberté de religion. Ce droit est garanti en France par la loi de 1881, qui prévoit des infractions en la matière : l’injure religieuse, la diffamation religieuse, et la provocation à la haine ou à la discrimination.

La CESDH a également reconnu aux Etats une marge d’appréciation beaucoup plus importante lorsqu’ils réglementent la liberté d’expression dans des domaines susceptibles d’offenser des « convictions intimes », convictions définis par leur domaine (la morale ou la religion) et justifiées par une sensibilité plus grande à la critique, pour permettre une plus grande restriction de la liberté d’expression.

Cette position de la jurisprudence a été illustrée par l’affaire concernant une publicité commerciale utilisant et dénaturant la Cène, fresque célèbre de Léonard de Vinci106(*). Il y avait alors lieu pour le juge d’examiner si le respect des sentiments religieux des catholiques était atteint par cette représentation.

Le tribunal de grande instance considéra que cette affiche constitue « dans son ensemble une violation manifeste de l’esprit de tolérance qui doit caractériser, au même titre que la liberté d’expression, une société démocratique ; qu’en effet, les catholiques peuvent d’autant plus se sentir attaqués et offensés dans leurs sentiments religieux que la représentation litigieuse, loin de constituer une contribution à un débat d’idées sur la représentation litigieuse, loin de constituer une contribution à un débat d’idées sur la place ou le rôle des femmes dans la société contemporaine, procède de la seule intention de réaliser des profits au mépris de la foi de personnes appartenant à la religion catholique ; que l’affiche litigieuse parodie une représentation de la Cène qui, par sa qualité esthétique, sa puissance évocatrice et la place qu’elle tient dans l’imaginaire des croyants, a valeur d’icône et vise non pas l’oeuvre de Léonard que l’objet même de la foi catholique à travers la représentation du dernier repas précédent la mort du Christ » 107(*)

2- La protection de la décence

Le juge administratif admet des restrictions à la liberté d’expression, notamment en matière de publicité extérieure, lorsque les affiches en cause présentent un caractère obscène pouvant provoquer des troubles de l’ordre public.

Il a ainsi admis que les nécessités du maintien de l’ordre puissent amener les autorités à procéder à la lacération d’affiches au prétexte qu’elles troublent la tranquillité publique, ou encore à interdire leur apposition en des lieux où elles seraient susceptibles d’occasionner des désordres108(*).

On notera que, outre la protection de la décence et de la morale, on peut concevoir des restrictions applicables au message publicitaire pour des raisons de santé publique : par exemple, par application de la loi Evin109(*) dont l’objectif vise à protéger indirectement la santé publique en interdisant tous moyens d’incitation à la consommation d’alcool et de tabac.

Enfin, l’idée de dignité de la personne humaine fait également son apparition en matière de restrictions à la publicité extérieure. Dans une affaire concernant une campagne publicitaire de Benetton utilisant des affiches qui mettaient en scène un torse humain, un bas-ventre et un fessier nus portant la mention « HIV Positive » , la Cour d’appel de Paris considéra que ces affiches utilisaient « une symbolique de stigmatisation dégradante pour la dignité des personnes atteintes de manière implacable en leur chair et en leur être, de nature à provoquer à leur détriment un phénomène de rejet ou de l’accentuer »110(*