L’année en cours est celle de l’exercice de la première génération des compétences transférées de l’Etat central à la périphérie. La décentralisation est à n’en point douter l’une des plus grandes reformes de l’Etat du Cameroun depuis cinquante ans. Dans toute réforme structurelle, si du temps n’est pas pris dans l’aide au changement, si on n’inclut pas les contraintes du pays, les freins culturels, cette réforme n’aboutira jamais. Il est du ressort des analystes que nous sommes, d’aider les pouvoirs publics à trouver l’équilibre entre le parfait et l’acceptable, entre le but idéal à atteindre et celui qui sera atteint suivant les moyens et le temps imparti. A cet égard, trois images me viennent à l’esprit que je me propose de partager avec les lecteurs dans les lignes qui suivent et auxquelles j’adjoindrai un principe que j’emprunte au droit des personnes.
LE MYTHE DE LA CAVERNE
D’après un texte de Platon dans son ouvrage ‘’La République’’, il était une fois une caverne. Au fond de celle-ci étaient tapis des hommes enchaînés depuis toujours. Ne pouvant tourner la tête, ils ne voyaient donc que la paroi qui était en face d’eux. Derrière eux, se trouvaient des marches conduisant à l’entrée de la caverne, avec des flambeaux pour les éclairer. Des hommes libres allaient et venaient à l’extérieur. Les prisonniers les entendaient bien, mais ne voyaient d’eux que la projection de leurs ombres. Ces hommes se trouvaient dans cette position depuis leur enfance et ils n’avaient rien connu d’autre. Personne n’est venu les rencontrer, personne ne leur a expliqué comment c’était dehors. Un jour, un prisonnier fut libéré. Parvenu à l’entrée de la caverne, donc à la grande lumière, ses yeux lui firent d’abord très mal parce que le soleil l’éblouissait mais peu à peu il commença à s’y habituer. Au bout d’un moment, il put distinguer les formes, puis les détails de ces formes et enfin les couleurs.
Ce mythe expose en termes imagés la pénible accession des hommes à la connaissance de la réalité, ainsi que la non moins difficile transmission de cette connaissance. Dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ne ressemblent-ils pas aux petites communes camerounaises n’ayant aucun passé dans la gestion de certaines compétences qu’elles sont appelées désormais à exercer par le mécanisme de la décentralisation ?
L’allégorie de la caverne montre que la connaissance des choses nécessite un travail, un temps, les efforts pour apprendre et comprendre.
L’IMAGE DU NAGEUR
Le nageur sort d’une piscine chauffée alors qu’il fait un temps frais à l’extérieur.
Deux situations se présenteront.
A la sortie, il restera un moment dehors, dès qu’il commencera à avoir froid, il se dépêche de rentrer dans l’eau, ou de rentrer chez lui.
Dans le premier cas, c’est un paresseux qui ne fera rien de son temps, sinon rester dans l’eau sans rien faire d’autre. Il n’aura pas de valeur ajoutée pour son pays.
Dans le deuxième cas, c’est un nageur qui prend des risques pour sa santé ; il peut tomber malade du changement brusque de la température du corps. Il est plus sage pour ce nageur de rester au froid jusqu’à claquer les dents avant de rentrer chez lui, question de s’accoutumer au temps qu’il fait, avant toute activité physique.

L’IMAGE DU JARDINIER
Le jardinier, en semant, sait bien que la récolte, n’interviendra pas le lendemain.
Il faudra un minimum de 4 mois pour récolter l’arachide, un temps plus long
pour récolter le manioc, plus encore pour récolter le plantain ou le cacao.
Toutes ces trois images peuvent permettre d’imaginer les difficultés qui
surgiront du processus de transfert des compétences aux communes et aux
petites d’entre elles qui sont sans moyens propres et sans histoire.
UN PRINCIPE CHER AU DROIT DES PERSONNES
Lorsqu’un enfant est né, il est égal à tous les autres hommes de la terre,
fussent-ils jeunes ou vieux. La société le défend au même titre que les adultes
(droit aux aliments, à l’éducation, à la santé, droit de propriété, pénalisation de
l’infanticide, de la pédophilie, de l’abandon d’un incapable). Mais cet enfant ne
peut pas exercer ses droits lui-même, avant l’âge de la majorité.
De la même manière, les communes sont juridiquement égales entre elles,
petites ou grandes. Mais certaines ne sont pas préparées pour assumer certaines
tâches. Il me semble que le transfert des compétences doit tenir compte de lacapacité technique, et organisationnelle de chaque personne morale concernée,
principe de la progressivité oblige.
Tout ce qui précède montre à souhait que toute réforme demande au
moins deux choses :
-Du temps. Il en faut pour chaque processus, pourvu qu’on n’en abuse pas, qu’on ne le laisse pas se « métastaser. »
-La formation. Elle doit être continue avec pour cible l’Etat lui-même et ses autorités centrales et déconcentrées, les autorités des collectivités territoriales décentralisées.
(Texte Paru le mercredi 13 Janvier 2010).