La liberté du commerce et de l’industrie a été instituée par l’article 7 de la loi des 2 et 17 mars 1791(loi d ’Allarde ). Cette loi ne mentionne pas clairement ce principe mais a été de nombreuses fois utilisée par le conseil d ’Etat pour protéger les activités industrielles et commerciales, mais aussi les activités libérales, l’artisanat…. Ce principe a aussi été repris trois fois par la loi du 2 mars 1982 (article 4,48, 66 ). Il est donc essentiel en droit positif, car il a permis de maintenir un minimum d’activités libres en limitant l’action des pouvoirs publics et contribue à la coexistence des secteurs publics et privés.

Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie a été consacré, par le Conseil d ’Etat, en tant que principe général du droit applicable même sans texte (Conseil d ’Etat. Ass. 22 juin 1951, Daudignac ; Conseil d ’Etat. ass.13 mai 1983, société rené Moline ). Un autre arrêt du conseil d ’Etat (13 mai 1994, présid. de l’assemblée territoriale de la Polynésie française ) mentionne l’obligation pour l’administration de se conformer « aux principes généraux du droit, et en particulier au principe de la liberté du commerce et de l’industrie « . Toutefois il a aussi reconnu cette liberté comme une liberté publique (Conseil d ’Etat. Sect. 18 octobre 1960, Martial de Laboulaye ).

Le conseil constitutionnel a semblé reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de liberté du commerce et de l’industrie dans sa décision du 30 octobre 1981, monopole de la radiodiffusion. Cependant, il a été plus explicite en consacrant la valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre dans sa décision du 16 janvier 1982, loi de nationalisation.

Il s’agit donc d’une consécration partielle du principe de la liberté du commerce et de l’industrie. En effet, de nombreux auteurs ont ainsi souligné la dualité de ce principe, son double contenu : d’une part la liberté d’entreprendre qui en constitue l’aspect majeur et le plus classique, de l’autre la liberté de la concurrence.

Paradoxalement, la liberté d’entreprendre, qui est l’aspect de la liberté du commerce et de l’industrie le mieux protégé, normalement, par sa consécration constitutionnelle, est aussi le plus limité par les pouvoirs publics, alors que la liberté de la concurrence, second aspect non consacré, semble de mieux en mieux assuré sous l’influence du droit communautaire, malgré l’entrave que représente toujours l’interventionnisme public local.

Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie subit donc de fortes limitations législatives, réglementaires et jurisprudentielles, qui peuvent faire douter de sa réelle portée.

En effet, il y a des besoins à satisfaire et de réelles contraintes qui ne peuvent être ignorées au non d’un principe.

Les limites du principe de la liberté du commerce et de l’industrie doivent donc être envisagées, du fait du double contenu du principe et du degré différent de limitation, du point de vue des limites du principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre ( I ) et de l’entrave que représente l’interventionnisme public pour la liberté de la concurrence ( II ).

I/ Les limites du principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre

réglementaires La liberté d’entreprendre souffre de deux types de limitations. Les premières sont législatives (A), les secondes sont (B).

A- Une liberté constitutionnelle encadrée par la loi

1. Conditions d’interventions du législateur :

La liberté d’entreprendre a été reconnue par le Conseil Constitutionnel comme s’imposant au législateur. Elle a une valeur supérieure à celle de la loi et des restrictions arbitraires ou abusives ne peuvent lui être apportées par la loi.

Mais cette liberté n’est ni générale ni absolue, elle ne peut exister qu’en application de la loi.

Ainsi, des limitations peuvent lui être apportées à la condition qu’elles soient d’origine législative.

Il est donc loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée.

La loi ne peut  » mettre en cause  » la liberté d’entreprendre mais elle peut et doit la  » mettre en œuvre  » soit en soumettant l’accès et l’exercice des activités professionnelles à des autorisations ou déclarations administratives voire des interdictions ponctuelles, soit en nationalisant une partie de celle-ci quitte ensuite à en déléguer l’exercice à des concessionnaires privés.

Exemples : -Interdiction de la publicité directe en faveur du tabac et des boissons alcoolisées.

-Loi du 30/03/1928 impose une autorisation préalable du régime d’importation du

pétrole.

-Restrictions apportées à la publicité commerciale limitant ainsi les ressources des

services de communication audiovisuelle.

2. Les motifs tenant aux limites fixées par la loi :

Un peu comme le décide le Conseil Constitutionnel, le juge administratif considère que  » la liberté du commerce ne s’exerce que dans les limites fixées par la loi « .

Ainsi sont légaux les actes administratifs limitant la liberté du commerce et de l’industrie qui trouvent une base légale soit dans une loi  » habilitant  » l’autorité administrative à réglementer l’activité professionnelle considérée, soit même dans une disposition communautaire.

En revanche sont illégaux les actes administratifs limitant la liberté de commerce et de l’industrie qui excèdent les limitations permises par la loi, sont illégaux aussi les actes administratifs rétablissant la liberté du commerce et de l’industrie dans un secteur où un monopole a été institué par la loi, enfin sont également illégaux les actes administratifs restreignant la liberté du commerce et de l’industrie en dehors des cas prévus par la loi.

B- Les limitations réglementaires

1) les motifs de police :

La liberté d’entreprendre peut être soumise aux contraintes de l’ordre public.

En effet, la sécurité, la salubrité, la tranquillité ou la santé publique permettent aux autorités de police de réglementer l’exercice des professions dans la mesure où cette activité risque d’y porter atteinte. Sa réglementation doit tenir compte des circonstances de temps et de lieu et être strictement justifiée par les menaces que son exercice comporte pour l’ordre public.


Exemples :

-La liberté du commerce et de l’industrie est limitée pour des raisons de santé publique (CE, 25/11/94, Ministère d’Etat, Ministère de l’intérieur et de l’Aménagement du territoire : fermeture d’une boucherie-charcuterie).

-Une réglementation restrictive de l’activité de photographe filmeur, d’auto école, de vente ambulante, d’artiste de rue, etc. est licite lorsqu’elle se limite à certaines rues, à certaines heures, à certains espaces, etc.

Par exemple, l’interdiction générale de la pratique des photographes-filmeurs à Montauban et sa soumission à un régime d’autorisation préalable est illégale : CE, 22/06/1951,  » Daudignac « . Ainsi, une réglementation restrictive de l’activité d’une profession est illicite si elle a une portée trop générale ou absolue.

-Est par contre légale l’interdiction de cette même activité au Mont-Saint-Michel pendant la saison touristique : CE, 13/03/1968,  » Epoux Leroy « .

1. Le motif de bonne gestion du domaine public :

L’administration peut prendre des décisions limitant l’accès au domaine public.

Les autorités propriétaires et gestionnaires du domaine public peuvent restreindre la liberté des personnes qui y exercent leur profession tant pour des raisons de conservation du domaine que du souci d’assurer la meilleure utilisation économique du domaine.

Ainsi le CE (29/01/1932, Ste des autobus Antibois) a admis que, dans l’intérêt du domaine public affecté à l’usage du public, la liberté du commerce et de l’industrie pouvait recevoir des limitations. Il était légal de soumettre les entreprises privées à un régime d’autorisation afin de protéger les services municipaux de transports. De même le retrait d’un droit d’occupation privative du domaine public est effectuée dans l’intérêt du domaine public. Cette décision est prise dans l’intérêt général (CE, 06/05/1932, Dlle Tallandier).

Une question se pose en ce qui concerne la légitimité de la reconnaissance constitutionnelle du principe de la liberté du commerce et de l’industrie. En effet, c’est un principe constitutionnel mais il connaît des limitations tant législatives que réglementaires.

On peut répondre que la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’entreprendre emporte son irréductibilité : si nombreuses puissent être ses limitations, il doit subsister un minimum d’activités libres.

La liberté d’entreprendre n’est pas la seule la liberté a être encadrée. En effet, la seconde composante, a savoir la liberté de concurrence, connaît aussi des limitations. C’est ce que nous allons tâcher d’étudier dans notre seconde partie.

II / Le principe de la liberté de la concurrence entravé par l’interventionnisme public.

L’interventionnisme est le fait, soit des autorités nationales, à travers les monopoles crées par la loi qui excluent toute concurrence privée, soit des autorités locales, qui créent beaucoup de services publics au point que certains ont parlé de « socialisme municipal « .

Cependant, le droit communautaire limite aujourd’hui l’interventionnisme public, et notamment la possibilité d’octroyer des aides.

A- Une jurisprudence administrative favorable à l’interventionnisme public.

La jurisprudence administrative admet dans certains cas la création de services publics concurrençant les activités privées, mais en règle générale les personnes publiques ne peuvent agir qu’en cas de carence ou de défaillance de l’initiative privée.

1) L’appréciation souple des conditions exigées par la jurisprudence

La jurisprudence a été de plus en plus favorable à l’interventionnisme public local. Au départ le juge était exigeant comme l’illustre la jurisprudence Casanova (Conseil d ’Etat, 29 mars 1901 : seules des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier la création de services publics susceptibles de concurrencer les activités privées ), puis il a assoupli sa jurisprudence, du fait de la reconnaissance des services publics industriels et commerciaux.

L’arrêt de principe du Conseil d ’Etat du 30 mai 1930, chambre syndicale du commerce en détails de Nevers, pose les conditions de légalité des créations de services publics pour exercer des professions libérales ou des activités industrielles ou commerciales.

Tout en rappelant que « les entreprises ayant un caractère commercial « (mais aussi les professions libérales) « restent, en règle générale, réservées à l’initiative privée « , le Conseil d’Etat accepte que les communes puissent créer des services publics lorsque « en raison de circonstances particulières de temps et de lieu « , « un intérêt public  » justifie leur intervention.

En effet, la création ne sera légale que si du fait de la carence ou de l’insuffisance de l’initiative privée, un besoin de la population n’est pas ou pas convenablement satisfait et que par conséquent il y a un intérêt public à cette création qui ne concurrence pas illégalement le secteur privé.

Les appréciations ultérieures des conditions exigées par la jurisprudence de principe se sont révélées être très souples :

– La carence ou l’insuffisance de l’initiative privée peut être quantitative (conseil d ’Etat, 17 avril 1964,commune de Merville-Franceville, création d’un camping municipal car manque de place dans les campings privés) ou qualitative (ville de Nanterre ; Conseil d’Etat, 20 novembre 1964, création d’un cabinet dentaire municipal en raison des prix élevés des praticiens privés).

– Le Conseil admet que la collectivité poursuive comme but l’équilibre financier du service public (conseil d ‘Etat, 18 decembre1959, Delansorme : Légalité de la création d’une station service qui constitue une condition normale de fréquentation d’un parc de stationnement municipal ). Le Conseil d ‘Etat admet donc la création d’un service public distinct de celui dont la création a été justifiée, s’il en constitue le complément naturel.

– L’objet de l ’intervention peut être un besoin vital (alimentation…), mais aussi une activité culturelle (théâtre, cinéma ).

Ainsi, beaucoup d’activités industrielles et commerciales ou libérales qui ont été érigées en service public (un bar-restaurant : Conseil d ‘Etat, 25 juillet 1986, commune de Mercoeur ; un service de fabrication de glace : Conseil d ‘Etat, 15 fevrier 1956, Siméon ). Toutefois, le Conseil d ‘Etat reste attaché au principe de la liberté du commerce et de l’industrie (Conseil d ‘Etat, 16 décembre 1988, association des pêcheurs aux filets et engins ), et a précisé que les interventions publiques en ce domaine devaient rester exceptionnelles (arrêt du 04 juillet 1984 département de la Meuse ). En conséquence, s’il n’y a plus de carence privée; l’exploitation du service public doit cesser, mais elle peut continuer le temps normal nécessaire à l’amortissement des investissements réalisés (conseil d ’Etat, 23 juin 1933, Lavabre )

2) Les activités concurrentes qui peuvent être crées « en tout état de cause »

En marge du domaine d’application de la jurisprudence de 1930,la création du service public sera considérée comme légale, alors même que l’initiative privée suffit aux besoins à satisfaire et sans qu’il y ait à rechercher ensuite ce qu’il en est.

Il y a trois cas ou « en tout état de cause  » il y a un intérêt public justifiant la création d’un service public.

– Services liés à l’exploitation d’une dépendance du domaine public sur laquelle elle est assurée. La personne publique est en droit de se réserver ou de réserver à son concessionnaire, le monopole de l’activité en cause en vue d’une meilleure utilisation du domaine public(Conseil d ‘Etat, section, 2 juin 1972, fédération française des syndicats professionnels de pilotes maritimes).

–  » le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que(la personne publique) satisfasse, par ces propres moyens, aux besoins de ses services  »

Conseil d Etat, 29 avril 1970, société Unipain, légalité d’un service de boulangerie destinée à fournir des prisons ).

– plus incertain sont les services que la personne publique a vocation « normale  » ou « naturelle  » à assurer. Le Conseil d ‘Etat a juger que, en tout état de cause, pouvait être crée, des services tendant à satisfaire les exigences de salubrité publique (lavoirs publics, bains-douches )(ce 19 05 33 Blanc ), un service municipal de consultation juridique (Conseil d’Etat, section, 23 décembre 1970 commune de Montmagny ), une piscine municipale destinée à améliorer les équipements de santé publique de la ville (conseil d ’Etat, section, 23 06 1972, Société La plage de la forêt :  » le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne peut pas faire obstacle à une intervention publique en ce domaine « ).

Au total, on peut s’interroger sur l’utilité du principe de la liberté du commerce et de l’industrie en tant que règle de non concurrence des activités privées par les personnes publiques.

B– Les aides publiques susceptibles de fausser la concurrence.

1) Les compétences des collectivités locales en matière d’aides économiques.

Loi du 2 mars 1982 relative aux droits et liberté des communes, départements et régions qui instaure la décentralisation en France, dispose en son article 48 que « sous réserve du respect du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, du principe d’égalité (….).le département peut intervenir en matière économique et sociale « . Mais toutes les collectivités locales peuvent intervenir sur le plan économique. Ces interventions se font par aides directes ou indirectes.

2) Le rôle essentiel du droit communautaire.

La compétence des personnes publiques est de plus en plus limitée par le droit communautaire qui refuse toute atteinte au droit de la concurrence par la constitution de monopoles ou par l’octroi d’aides directes ou indirectes.

L’article 90, §1 du traité de Rome prévoit que « les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité « , relative au droit de la concurrence.

L’article 37 exige la disparition progressive des monopoles nationaux.

Toutefois le traité d’Amsterdam limite ce droit de la concurrence en ce qui concerne les services d ’intérêt économique général.

L ’Etat et les collectivités locales ne peuvent plus octroyer des aides susceptibles de fausser la concurrence, car il y un contrôle de la commission (sauf sur les aides minimes ).

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Le droit communautaire contribue donc à la libre concurrence et à la liberté du commerce et de l’industrie (qui prend une valeur au moins supra-législative ). Mais d’une façon générale le droit de la concurrence a tendance à s’imposer de plus en plus aux autorités publiques, comme en témoigne la récente jurisprudence du Conseil d ’Etat qui rend applicable l’ordonnance de 86 sur les prix et la concurrence applicable aux activités de production, de distribution et de services des personnes publiques. Il y a là une banalisation de l’intervention des opérateurs publics dans la compétition économique (Conseil d ‘Etat, section, 3novembre 1997, société Million et Marais ; 26 mars 1999, société EDA ).