1-Où est l’autorité?

Depuis la réorganisation du gouvernement le 9 décembre 2011, le ministre délégué à la présidence de la république chargé des Marchés publics est aux commandes de ce secteur, a résumé le ministre Abba Sadou rencontré hier par Cameroon Tribune. La réforme introduite par le décret présidentiel du 9 décembre 2011 organisant le gouvernement prévoit en effet que : « Le ministre délégué à la présidence de la République chargé des marchés publics est responsable de l’organisation et du bon fonctionnement des marchés publics. A ce titre, il procède au lancement des appels d’offres des marchés publics en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernées ; il procède à la passation des marchés publics et en contrôle l’exécution sur le terrain en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernées ; il participe, le cas échéant, au montage financier des marchés publics en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernées. » La circulaire que le président Paul Biya a signée mardi en fait d’ailleurs l’arbitre des conflits entre commissions de passation des marchés et autorités contractantes. Tout comme il est le recours des soumissionnaires qui s’estiment lésés. L’Agence de régulation des marchés publics (Armp) demeure quant à elle, souligne le ministre Abba Sadou, l’organe d’appui technique. « Il sert à renforcer les capacités de tous les acteurs. Les autres ministres comme nous même pouvons recourir à son expertise. Ses rapports annuel et semestriel sont adressés respectivement au président de la République et au ministre en charge des Marchés publics. »

2- Qui passe les marchés ?

La circulaire du chef de l’Etat signée mardi résume la réforme qui est contenue notamment dans les décrets organisant le gouvernement et le ministère des Marchés publics (mars 2012). Elle énumère limitativement les autorités et responsables habilités à lancer les appels d’offres et à signer les marchés publics. Il s’agit du ministre en charge des Marchés publics ; les chefs de départements ministériels et autres administrations publiques ; les directeurs généraux et directeurs d’établissements et entreprises publics ou parapublics ; les délégués régionaux des Marchés publics ; les chefs des exécutifs des collectivités territoriales décentralisées et les chefs de projets. Chacun des décideurs sus-mentionnés agit naturellement pour une fourchette financière précise.

3-Pour quels montants ?

Le ministre délégué à la présidence de la République chargé des Marchés publics passe les marchés relevant des seuils de compétence des commissions centrales de marchés, ainsi que ceux des services centraux de ministères dès lors que l’enveloppe de l’opération est de 50 millions de F ou plus, indique la circulaire présidentielle. Entre 5 millions de F et moins de 50 millions de F, les ministres et chefs d’administrations publiques sont habilités à passer un marché. En région, les délégués du ministère des Marchés publics sont compétents pour passer des marchés sur les crédits délégués aux services déconcentrés régionaux des administrations publiques dont les montants varient entre 5 millions de F sans excéder 50 millions de F. La répartition se poursuit pour les délégués départementaux. Elle s’étend aux directeurs généraux et directeurs d’établissements publics et parapublics, chefs d’exécutifs de collectivités territoriales décentralisées ainsi que les chefs de projets. La distinction se fait dans ce dernier groupe entre les marchés d’infrastructures, de services et prestations intellectuelles ainsi que les approvisionnements généraux. La limitation de compétence entre 15 et 500 millions de F, permet de renvoyer à un degré supérieur les marchés de plus grande importance.

4-Et les commissions des marchés ?

Il existe cinq types de commissions de passation des marchés. Les commissions centrales sont placées auprès du ministre en charge des Marchés publics, celles dites ministérielles étant compétentes pour assister les autres ministres. Les commissions locales quant à elles regroupent les commissions régionales, départementales que dirigent les délégués des Marchés publics dans les régions et départements. Elles pourront suppléer les commissions internes que l’on retrouvera désormais auprès des chefs d’une partie des collectivités territoriales décentralisées, lorsque ces dernières ne sont pas capables d’en supporter le fonctionnement. Les commissions internes placées auprès de certains chefs d’établissements et entreprises publics ou parapublics sont en revanche prises en charge par le budget de ces institutions. Enfin, les commissions spéciales des marchés seront créées par le ministre et affectées aux projets de développement qui en ont besoin.

5-Les règles de délai

La réforme vise globalement à réduire le temps de réalisation des marchés publics. A titre d’exemple : la commission des marchés dispose d’un délai maximal de 21 jours à compter de la date d’ouverture des offres, pour proposer des attributions du marché. Dans les procédures d’urgence, le délai est de 5 jours, résume la circulaire présidentielle. L’on encouragera à réduire les délais d’attente, mais en aucun cas à les dépasser, avertit le ministre Sadou.

6-Gré à gré, avenants…

Officiellement, on reconnaît que ces deux pratiques sont à l’origine de nombreux dysfonctionnements dans l’univers des marchés publics. Le gré à gré, rappelle le ministre chargé des Marchés publics, viole le principe universel du libre accès des prestataires à la commande publique. En même temps qu’il élimine la concurrence, garante de la qualité et de la justesse du prix. Aussi la réforme prévoit-elle de privilégier la procédure d’urgence qui tout en étant plus rapide (42 jours contre 45 pour un marché de gré à gré), préserve la compétition entre les offres. L’autorité des marchés publics sera par ailleurs à cet égard chargée de veiller à la conformité des éventuels marchés de gré à gré au Code des marchés qui énumère exhaustivement les cas où le maître d’ouvrage peut y recourir. Quant aux avenants, normalement circonscrits à 30% tout au plus du montant du marché de base, le ministre Sadou annonce que « la lutte contre un recours abusif [à ce dispositif de secours] sera préventive ». Pratiquement, le ministère compte jouer à fond la carte du contrôle qualité des documents d’appels d’offres. « Il y a des appels comportant des études bâclées, incomplètes ou même inexistantes. Nous allons veiller à les corriger ou à les faire reprendre en accord avec les ministères concernés.
7-Malfaçons, abandons, paiements frauduleux.
Sur ce chapitre, le ministre chargé des Marchés publics observe que les règles nouvelles permettent de contrôler la chaîne, des études à la réalisation et même jusqu’au paiement des prestations. La révolution, souligne M. Sadou, c’est l’institution du visa préalable délivré par le ministre des Marchés publics à la demande de payement des prestations par le cocontractant de l’Etat. « Nous ne voulons ni de paiement au-delà, car ce serait faire perdre de l’argent à l’Etat, ni en deçà, car c’est alors l’entreprise que l’on affaiblirait ainsi que ses partenaires et surtout ses employés, en les privant du juste prix de leur travail », analyse-t-il. Rejetant l’argument selon lequel le visa pourrait créer des goulots d’étranglement et aggraver la lenteur décriée, le ministre note que l’affaire doit être conclue dans les trois jours suivant la demande du partenaire de l’Etat. Le dispositif est programmé pour être à l’heure en raison des modalités du contrôle.

8-Les brigades de contrôle

C’est sur le travail des équipes de vérification que le patron des Marchés publics compte pour éviter que les « trois jours » ne constituent un couperet qui tombe régulièrement sur son action de préservation des ressources publiques. Au siège du ministère des Marchés publics, il y a déjà 50 contrôleurs prêts dans les services centraux. Dans chaque région, les délégations devront en comprendre au moins huit, tandis que chaque département comptera sur quatre délégués au minimum pour évaluer régulièrement les travaux de chaque marché. De la sorte, l’on compte « éviter les surprises et apprêter la décision d’accorder le visa avant même que le demandeur ne se soit exprimé ». Aussi, les contrôleurs devront-ils descendre inopinément à chacune des phases du projet concerné.

9-Tableau de bord et veille

C’est la clé du dispositif que ce visa préalable aux paiements, estime le ministre Abba Sadou. Mais avant d’y arriver, l’administration qu’il dirige s’est organisée pour autocontrôler les commandes publiques. Le travail en amont a commencé par une conférence de programmation tenue fin février à Douala. Les maîtres d’ouvrage y ont établi le calendrier d’exécution des marchés pour l’année en cours. Cet agenda comporte les échénaces des appels d’offres, sessions des commissions de passation des marchés, exécution, réception, etc. Une banque de données qui offre à son possesseur une claire vision sur : qui fait quoi, où, quand, dans quels buts (la circulaire du chef de l’Etat rappelle l’obligation d’inscrire les projets dans le budget d’investissement public correspondant et de les conformer au Dsce)… Grâce à cette méthode prévisionnelle, le ministère peut aussi relancer les retardataires et détecter avant les moments critiques les défaillances et dérives éventuelles.

10-Quid des marchés hors saison ?

Tout en reconnaissant l’existence de marchés déconnectés avec la réalité sociale économique (paquets minimums pour les écoles qui arrivent au troisième trimestre, chantiers de Btp lancés à l’orée de la saison des pluies, achat de semences agricoles après les semailles, etc.), le ministre Abba Sadou estime que le dispositif actuel va éliminer ces incongruités de l’univers des marchés publics. Grâce à la planification nationale synchronisée sans être véritablement centralisée. « Le sens de la programmation, c’est de s’adapter à chaque environnement en laissant aux maîtres d’ouvrage la décision de choisir les projets sur lesquels ils vont travailler via les marchés publics, car ils connaissent les contraintes environnementales tout en permettant de garder un œil d’évaluation et de surveillance », résume le ministre.