I – Le pouvoir de police administrative ne peut se déléguer

A – Les principes jurisprudentiels

Plusieurs solutions attestent du fait qu’une autorité de police administrative ne peut déléguer son pouvoir par contrat, qu’il s’agisse d’activités juridiques ou d’activités matérielles. Les solutions sont anciennes et manifestent une certaine continuité. Ainsi, le juge administratif a considéré, dès 1932, qu’un contrat ne saurait avoir pour objet de déléguer à une personne privée le service de la police rurale (CE, 17/06/1932, Ville de Castelnaudary). De meme, le fait pour une commune de concéder l’exploitation d’une plage ne peut avoir pour effet de transférer de la commune au concessionnaire la pouvoir d’assurer l’ordre public sur cette plage (CE, sect., 28/05/1958, Cons. Amoudruz).

Ces solutions ont été confirmés récemment par le Conseil d’Etat. Ainsi, en 1997, celui-ci a annulé le contrat par lequel une commune confiait à un société de gardiennage la surveillance des voies publiques (CE, 29/12/1997, Commune d’Ostricourt).

A ces principes doivent etre rajoutées les solutions interdisant à une autorité de police administrative de s’engager contractuellement sur l’utilisation de son pouvoir. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a annulé un contrat portant sur la gestion du stationnement sur la voie publique au motif que ce contrat prévoyait d’une part le nombre des emplacements de stationnement, et, d’autre part, le fait que ce nombre ne pouvait etre modifié unilatéralement par l’Administration que dans la limite de 5 % (CE, 1°/04/1994, Commune de Menton). Du reste, ce dernier arret rappelle la régle énoncée par l’arret Ville de Castelanaudary selon laquelle le pouvoir de police administrative ne saurait etre confiés qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’Administration.
B – Vers une remise en cause de ces principes

Dans l’arret commune d’Ostricourt, le Conseil d’Etat ne se base pas, pour déduire l’interdiction de déléguer par contrat des pouvoirs de police administrative à une personne privée, sur un principe jurisprudentiel intangible, mais sur la loi du 12 Juillet 1983 réglementant les activités privées de gardiennage et de surveillance. Beaucoup ont, alors, déduit de ce raisonnement que le juge administratif n’était pas, par principe, opposé à un telle délégation dès lors qu’elle était autorisée par le législateur.
Concrètement, cette loi pose des conditions à l’exerice d’activités de gardiennage et de surveillance. Face au développement de ce secteur économique, du fait de la recrudescences des questions liées à la sécurité, cette loi a été modifiée par la loi du 18 Mars 2003 relative à la sécurité intérieure dans le sens d’un accroissement des garanties offertes par les personnes travaillant dans ce secteur. C’est ainsi que le législateur exige désormais des garanties de moralité supplémentaires; il en va de meme en matière de qualifications professionnelles. Quant aux modalités de controle de l’Administration sur ces entreprises, elles ont été renforcées.

Pour en revenir à la question de la délégation des pouvoirs de police, la loi de 1983 distingue la mission de surveillance de la voie publique et sur la voie publique. S’agissant de la seconde mission, l’interdiction est la règle, mais souffre une exception. Ainsi, les agents « peuvent exercer sur la voie publique des missions, meme itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde ». Il faut préciser que cette possibilité exige une autorisation préfectorale.
En revanche, comme en 1983, le législateur de 2003 n’a pas prévu la possibilité pour ces sociétés d’exercer une mission de surveillance de la voie publique, ce qui signifie, a contrario, que de telles délégations sont interdites. Dès lors, le législateur a feint de ne pas entendre l’invitation lancée par le Conseil d’Etat dans son arret Commune d’Ostricourt. En effet, l’on sait, que celui-ci avait annulé le contrat en cause en se basant moins sur le principe selon lequel la police ne se délègiue pas que sur les restrictions prévues par la loi de 1983. La voie était ouverte au législateur pour permettre la possibilité de telles délégations, que beaucoup attendait. Mais, il n’en a pas saisi l’occasion. Gageons que ce problème se posera de nouveau très bientot.

D’ailleurs, dans ce domaine, plutot que de prendre des positions de principe, le pouvoir légisaltif semble préférer opérer par étapes en reconnaissant des pouvoirs particuliers à des agents privés opérant dans les lieux recevant du public.

II – Les pouvoirs des agents de surveillance dans les lieux recevant du public

Le fait de déléguer à des agents privés des pouvoirs jusque là réservés aux agents de la force publique est relativement ancien. Ainsi, la première possibilité de délégation date de 1989. Mais, du fait des menaces terroristes au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001, ces possibilités se sont considérablement accrues. Il faut noter que le législateur appréhende cette question de manière circonstanciée en concédant progressivement certains pouvoirs dont l’exercice est limité à certains lieux recevant du public, et non en prenant une position de principe sur la question de la délégation de pouvoir de police.

Concrètement, le législateur reconnait à des agents extérieurs à la force publique le pouvoir de procéder à l’inspection visuelle des bagages à main, ainsi qu’à leur fouille, ce qui nécessite, dans ce dernier cas, l’autorisation du propriétaire. Surtout, le législateur reconnait à ces agents le droit de procéder à des palpations de sécurité avec le consentement exprès des personnes.

Trois types de lieux de mise en oeuvre de ces pouvoirs sont concernés. Ce fut d’abord les zones de transit des ports et aéroports. La loi du 18 Mars de 2003 conféra les memes pouvoirs aux agents privés exerçant la surveillance de manifestations sportives, récréatives ou culturelles rassemblant plus de 1 500 spectateurs. Si ces deux dispositifs visent des lieux déterminés, la loi du 15 Novembre 2001 vise, elle, une hypothèse de délégation plus générale, puisqu’elle confère ces pouvoirs aux agents de surveillande et de gardiennage en cas de « circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique ». Ces circonstanes sont à la discrétion du préfet, sous le controle du juge administratif. Le représentant de l’Etat fixe, ainsi, la durée d’utilisation de ces pouvoirs, ainsi que les lieux ou catégories de lieux visés. En d’autres termes, si cette habilitation parait plus limitée que dans les deux premiers cas, puisqu’elle suppose une autorisation du préfet, elle peut etre, dans les faits, plus générale puisque le nombre de lieux visés peut etre important, alors que les deux premières habilitations ne concernent qu’un lieu déterminé. D’ailleurs, la circulaire du 3 Mai 2002 est venu conforter ce sentiment en donnant des exemples de ce qu’il faut entendre par circonstances particulières. Il peut s’agir de l’application du plan Vigipirate, de l’existence de menaces terroristes avérées en certains lieux, ou de la protection de lieux sensibles comme les centrales nucléaires.

Ces pouvoirs pouvant etre attentatoires aux libertés individuelle, le législateur a encadré strictement leur exercice. Ainsi, les agents qui peuvent mettre en oeuvre ces pouvoirs doivent avoir reçu un agrément de l’Administration, agrément délivré sur la base de critères de moralité et d’expérience professionnelle. Par ailleurs, ces pouvoirs ne peuvent etre mis en application qu’après autorisation de l’Administration : le préfet pour les agents de surveillance, ou un officier de police judiciaire s’agissant des agents exerçant dans les ports et aéroprts.

On le voit, progressivement, des pouvoirs, jusque là réservés aux agents de la force publique, sont conférés à des agents privés. Meme si leur utilisation est encadrée, il y a, là, le consat que les forces de l’ordre ne suffisent plus pour assurer la sécurité des citoyens. La question de l’insécurité étant loin d’etre résolue, il y a fort à parier que de nouvelles concessions seront rapidement faites aux entreprises de sécurité privées.